Popcorn Time, « Netflix des pirates » - Rue89 - L'Obs
SOURCE Popcorn Time, conte de la culture au XXIe siècle - Rue89 - L'Obs:
Popcorn Time, vous connaissez ? L’application, symbolisée par un petit paquet de pop-corn qui se fend la poire, permet de regarder films et séries en quelques clics, pas plus. Sa simplicité d’usage la fait ressembler à un Netflix, ou à un Spotify, pour la musique. Sauf que cette plate-forme n’a rien de légal. Et que son histoire est fascinante, tant elle résume parfaitement tous les enjeux de la culture au XXIe siècle.
« En Argentine, Internet est vraiment très lent »
Le créateur de Popcorn Time l’a livrée à un site norvégien, Dagens Næringsliv (traduction en anglais), sortant ainsi pour la première fois de l’anonymat.
Federico Abad, un développeur argentin jusque-là connu sous le nom de « Sebastian » (ou de « Pochoclín », popcorn en Argentine), raconte ainsi avoir eu l’idée de cette application face à la difficulté d’accéder aux films dans son pays :
« Ici en Argentine, Internet est vraiment très lent. Et les films sortent tard au cinéma, jusqu’à six mois après la première américaine. [...] Si vous sortiez avec une fille, vous ne pouviez pas dire : “Hey, regardons un film.” Il fallait d’abord se mettre d’accord sur le film à regarder la veille, et commencer à la télécharger. J’ai pensé qu’il devait y avoir une meilleure solution. »
Lui qui dit pourtant avoir un abonnement aux deux, explique ne pas pouvoir se contenter de Netflix ou de Spotify. Se désole de leur catalogue limité, qui varie fortement entre les pays.
Cette réflexion remonte à janvier 2014. Quelques semaines plus tard, un prototype était prêt. Moins de deux ans plus tard, le tout-Hollywood, ainsi que des ayants droit du monde entier, tentent de contrer ce « Netflix des pirates » :
- aux Etats-Unis, des utilisateurs se sont vu réclamer des centaines de dollars par les studios, pour avoir regardé des films sur Popcorn Time.
- Même chose en Allemagne.
- L’Italie, quant à elle, bloque le bouzin.
- En France, le ministère de la Culture se focalise en ce moment surtout sur la manière de contrer les sites de streaming illégaux et payants – Fleur Pellerin lance un comité de suivi en ce sens ce 10 septembre.Néanmoins, dans la mesure où Popcorn Time mêle du streaming (la capacité de regarder sans télécharger donc sans copier l’œuvre) et du téléchargement (petit bout par petit bout, à mesure du visionnage), l’ancien secrétaire général de la Hadopi, Eric Walter, expliquait au Monde que les internautes français pouvaient être chopés, pour peu que le film regardé soit surveillé.
Testé et approuvé par les mamans
Ce succès, Federico Abad le doit à sa maman. Et à sa lucidité : il avait bien conscience que les logiciels de partage de fichiers, les Kazaa, Napster et autre Vuze, demeuraient, malgré leur succès, un truc de bidouilleurs. Arides, pénibles à configurer.
Son but était de rendre son logiciel accessible au grand public. D’où l’intervention de sa mère :
« Quand je conçois quelque chose, c’est mon étude de cas. Si elle ne peut pas l’utiliser, personne ne le peut. »
Reste le souci majeur : Popcorn Time va puiser dans des fichiers illégaux. Et rend le piratage facile. Bref, tout pour engranger des utilisateurs et faire hurler les studios.
Un jour, un avocat de Warner Bros a fait un petit tour sur les pages LinkedIn des développeurs de Popcorn Time. Malgré leur anonymat, leurs précautions, ils ont compris qu’ils étaient grillés : toute visite sur ces profils se solde par un e-mail à son propriétaire... Tout le monde a quitté le navire ; le code source de Popcorn Time a été remis à la communauté des internautes en mars 2014.
10 000 dollars par semaine pour des malwares
Certes, la Motion Picture Association of America (MPAA), qui représente les plus gros studios américains, a bien tenté d’empêcher sa diffusion. Et a même réussi à faire fermer une page consacrée au code de PopcornTime sur GitHub,la célèbre plateforme des développeurs.
Mais Internet étant ce qu’il est, ce code s’est retrouvé dupliqué et collé sur des centaines d’autres pages. Et plusieurs versions de Popcorn Time ont été remises à disposition des internautes.
Federico Abad en adoube une seule, la version en .io, parce que son code source est ouvert, donc plus sûr et plus conforme aussi, à son idée de départ. A l’en croire, Popcorn Time n’a pas été conçu pour faire de l’argent. Ni pub, ni abonnement, ni logiciel malveillant. Pourtant, ce ne sont pas les offres qui ont manqué :
« Il y avait plusieurs propositions d’activités criminelles. Ils disaient qu’on pouvait se faire jusqu’à 10 000 dollars par semaine. Ils ont proposé de nous filer cinq dollars à chaque installation de logiciels espions ou malveillants permettant de modifier les publicités, de telle manière que les revenus leur reviennent. »
Des bitcoins pour les courses
Au grand regret de son père, l’Argentin n’est pas devenu millionnaire grâce à son application. « J’aurais pu être en prison », rétorque-t-il.
Désormais, Federico Abad bosse dans une espèce de banque de bitcoins, Xapo. Son ambition pour la monnaie virtuelle est la même que pour la culture :
'via Blog this'« Je rendrai les bitcoins si accessibles que ma mère pourra les utiliser pour ses courses. »