Le modèle américain d'Hitler
Des lois « Jim Crow » aux lois de Nuremberg
Le modèle américain d'Hitler (Armand Colin, 2017, 290 pages, 22,90 euros) est un essai de James Q. Whitman, professeur de droit comparé. Il établit de troublantes passerelles entre les pratiques et les pensées qui prévalaient en Occident au début du XXe siècle.
Le titre est déroutant : comment le « pays de la Liberté » aurait-il pu inspirer le nazisme ? C’est que le nazisme n’est pas apparu spontanément sous la forme du monstre que l’Histoire a retenu...
<em>Le modèle américain d'Hitler</em>
Le nazisme a mûri sur un terreau propice ainsi que le rappelle l’historien Johann Chapoutot dans la préface de l’édition française : « Ne nous trompons pas de perspective : les nazis de 1933 ou de 1935 ne sont pas ceux de 1941, 1943 ou de 1945. Les nazis sont dans un premier temps parfaitement fréquentables car ils disent, certes plus fort, plus rudement et plus violemment, des choses que l’on pense et que l’on dit ailleurs… »
L’auteur montre que les lois raciales de Nuremberg de 1935 ne sont ni une anomalie, ni une incongruité, ni même une génération spontanée. « Elles sont pensées, dites et promulguées dans un monde commun habité par les nazis allemands, les sociaux-darwinistes britanniques, les eugénistes scandinaves et français et – pour ce qui l’occupe ici – par les citoyens des États-Unis qui ne trouvaient généralement rien, ou peu de choses, à redire aux lois dites Jim Crow ».
Ces lois « Jim Crow », apparues dans les anciens États confédérés du sud, établissaient des distinctions raciales dans les transports, le logement, l'emploi, l'éducation etc. Elles se signalaient aussi par une définition très extensive de l'appartenance à la race noire, selon la règle « Une goutte suffit » (the one-drop rule). L'auteur du Modèle américain d'Hitler se garde d'établir une filiation entre la législation américaine et la législation nazie. Mais il rappelle l'admiration que vouaient Hitler et les nazis aux puissances anglo-saxonnes, le Royaume-Uni et les États-Unis.
Ainsi, ils montrent leur intérêt pour la manière dont les Américains avaient « réduit à coup de fusil des millions de Peaux rouges à quelques centaines de milliers ». Ce mode d'expansion a pu servir de modèle à la conception du Lebensraum, la conquête par les Allemands de l'« espace vital » jugé indispensable à une population croissante. D'ailleurs, note James Whitman, en 1942, le nazi Hans Frank qualifiait d'« Indiens » les Juifs d'Ukraine !
Dans Mein Kampf, Hitler, en 1924, se montre séduit par les lois américaines de 1920-1921 qui établissent des quotas en matière d'immigration : « En refusant l'accès de leur territoire aux immigrants dont la santé est mauvaise, en excluant du droit à la naturalisation les représentants de certaines races, ils se rapprochent un peu de la conception raciste [völkisch] du rôle de l'État » (cité par James Q. Whitman).
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