la plupart des Français interrogés pensent appartenir à la classe moyenne
Comment les Français conçoivent-ils la répartition des revenus dans la société et leur propre place dans la hiérarchie sociale ? Et quelle est la prévalence des opinions dites « populistes » ? La dernière vague de l’enquête ISSP (2019) montre que ces différentes perceptions sont généralement cohérentes entre elles, à deux exceptions près : (1) la plupart des Français interrogés pensent appartenir à la classe moyenne, mais se font une idée très inégalitaire de la société française à l’image d’une pyramide, c’est-à-dire une grande proportion de pauvres et des effectifs de plus en plus faibles à mesure que l’on s’élève dans l’échelle des positions. (2) Ces différentes opinions des Français semblent dissociées de leur propre niveau de revenu.
Cette note a été réalisée en partenariat avec Quetelet Progedo Diffusion
Dylan Alezra, Observatoire du Bien-être du Cepremap
Claudia Senik, Observatoire du Bien-être du Cepremap, Sorbonne-Université et PSE
Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle récente semblent refléter un clivage social important au sein de la société française. Il y aurait d’un côté, le vote « populiste » (RN, LFI) des perdants de la mondialisation, et de l’autre, le vote LREM des gagnants. Est-ce bien ainsi que les Français se représentent la structure sociale et cela dépend-il de leur propre place au sein de cette dernière ? Pour le savoir, nous exploitons la dernière vague de l’enquête ISSP (International Social Survey Programme, 20191) qui a interrogé 1600 Français. Cette enquête livre des résultats paradoxaux.
Une France de classes moyennes ou une société pyramidale ?
Tout d’abord, concernant leur propre position dans la hiérarchie sociale, représentée par une échelle de 1 à 10, la plus grande partie des Français se positionne sur l’échelon intermédiaire (échelon 5) et sur les échelons immédiatement voisins (Figure 1).
Cet auto-positionnement donne l’idée d’une France essentiellement composée de classes moyennes. C’est effectivement ce qui apparaît lorsque l’on pose la question de cette manière (« À quelle classe sociale diriez-vous que vous appartenez ? »). L’immense majorité des Français disent appartenir à la classe moyenne (Figure 2), et surtout à la classe moyenne intermédiaire (Figure 3).
Cette perception varie bien entendu selon le revenu par unité de consommation du ménage2, avec le sentiment plus répandu d’appartenir à la classe moyenne inférieure (en violet) dans les quintiles de revenu plus bas, et l’impression de faire partie de la classe moyenne supérieure (en vert) plus fréquente dans le quintile le plus élevé de l’échelle des revenus (Figure 3).
Certes, le concept de classe moyenne est un peu flou. L’Observatoire des inégalités3 par exemple, le définit comme désignant les catégories intermédiaires entre les 30 % les plus pauvres et les 20 % les plus riches. Mais cette définition ne coïncide pas avec la perception des Français, puisque, même au sein des quintiles de revenu les plus faibles (moins de 1126 euros par mois) et les plus élevés (plus de 7660 euros par mois par unité de consommation), la majorité des individus pense appartenir à l’une des fractions de la classe moyenne (Figure 3).
Une autre façon de mesurer la classe moyenne consiste à utiliser les données du recensement de l’Insee qui renseigne sur les catégories socio-professionnelles (CSP) des résidents et la clef de répartition des CSP en classes sociales proposée par l’Observatoire de la société4. Selon cette approche, la société française se composerait d’une classe moyenne majoritaire (plus de 40%) où les professions intermédiaires occupent la plus grande place, puis d’une classe populaire importante (40%) composée d’ouvriers et d’employés, et enfin, d’une classe supérieure comprenant les cadres (Figure 4).
Le rapprochement des deux graphiques (Figures 3 et 4) suggère que ce que l’Observatoire de la société définit comme « classe populaire » se retrouve dans l’auto-positionnement des gens en tant que « classe moyenne inférieure », tandis que les membres de la « classe supérieure » identifiée par l’Observatoire de la société se perçoivent comme faisant partie de la classe moyenne supérieure.
Une France imaginée comme pyramidale
Cependant, malgré le fait que dans leur grande majorité, ils se voient appartenir à la classe moyenne, les Français se font une tout autre idée de la société dans son ensemble (Figure 5).
En effet, devant le choix des images de la société représentées par la Figure 5, la majorité des répondants choisit l’image d’une société pyramidale (type B, plus de 50 %), voire en sablier (type A, moins de 20 %), c’est-à-dire polarisée, très inégalitaire (Figure 6)5. Pourtant, la représentation correcte de la société française, compte tenu de la répartition des revenus ou de l’auto-positionnement des enquêtés, serait davantage de type « sapin » (type C), c’est-à-dire une pyramide avec un socle (de pauvres) plus étroit que son milieu (de revenus intermédiaires), voire une toupie (type D) majoritairement formée par les classes moyennes, avec des pointes étroites composées des plus riches et des plus pauvres.
Les déterminants de la représentation sociale
La représentation de la société par les individus est-elle dictée par la place que ces derniers pensent y occuper ? Ce n’est pas totalement le cas. Certes, ceux qui se voient appartenir à la classe supérieure ou moyenne-supérieure sont moins nombreux à se figurer la société comme une pyramide (type A – inégalitaire), et plus nombreux à choisir la forme d’une toupie (type D), ou d’un sapin (type C), formes plus égalitaires. Mais quelle que soit leur classe sociale subjective, un grand nombre d’individus, la majorité à l’exception de la classe supérieure, voient la société française comme une pyramide (type A).
Autre fait remarquable, la forme de la société perçue par les individus ne semble dépendre que très faiblement de leur propre niveau de revenu (Figure 7). La forme pyramidale est constamment prépondérante, au sein de toutes les catégories de revenu objectif.
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