Trading haute fréquence, le soulèvement des machines, Livres

SOURCE lesechos.fr



Trading haute fréquence, le soulèvement des machines, Livres:



L'anthropologue Alexandre Laumonier poursuit son exploration du THF. Une histoire de la domination des machines sur les marchés.

Si les 24 courtiers qui, selon une scène pastorale, créèrent le New York Stock Exchange le 17 mai 1792, sous un platane, revenaient aujourd'hui en pèlerinage au 68 Wall Street, ils ne reconnaîtraient guère leur Bourse. Son centre névralgique a depuis longtemps quitté New York pour des hangars anonymes et ultrasécurisés dans le New Jersey, où se dressent alignés les uns contre les autres d'étranges monolithes. Ce sont ces « boîtes noires », celles des automates de trading ultrarapides (les traders haute fréquence) qui renferment aujourd'hui une part des secrets des marchés. Il fallait bien un anthropologue pour percer à jour les mystères des machines, raconter leur émergence et soulèvement jusqu'à leur domination !
Loin d'être surnaturelle, la logique des automates de trading reste humaine, terriblement humaine. C'est une des thèses exposées par Alexandre Laumonier, dans son dernier ouvrage « 5 », suite de « 6 », où l'auteur poursuit sa remontée dans le temps vers les origines des marchés et l'année zéro du trading haute fréquence. Il la date au milieu du XIXsiècle, lors de la naissance du grand marché des matières premières à la criée de Chicago. Le Chicago Board of Trade (CBOT) choisit pour emblème Cérès, la déesse romaine de l'agriculture et des moissons. Ses « gladiateurs » étaient confinés dans les sous-sols du bâtiment, dans des fosses bâties sur le modèle des amphithéâtres de l'Antiquité. Ces parquets dans lesquels les traders se réunissaient étaient à l'image de l'Amérique d'alors : bruyants, animés et traversés par l'énergie folle du Nouveau Monde. La hauteur des talons des courtiers était réglementée, car une grande taille était un avantage pour survivre dans « la fosse aux lions ».
Les premières calculatrices pesaient alors 20 kilos et ressemblaient à d'encombrantes machines à écrire du XIXe siècle. Mais cette technologie, rudimentaire, n'était pas la seule condition du succès. « Les traders pouvaient lire sur les visages si quelqu'un était nerveux. C'étaient des animaux, ils détectaient des émotions, la peur, l'excitation... », se souvenait un des participants. Les opérateurs avaient vite compris que « l'information était le fluide vital des marchés » et que le premier informé serait le premier servi, quitte à traverser la ligne blanche.

Continuités plus que ruptures

En 1986, alerté par des investisseurs, le Federal Bureau of Investigation (FBI) lança un vaste coup de filet sur les marchés à terme de Chicago. Infiltrés sur les parquets pendant de longs mois, les agents du FBI mirent au jour un système de manipulations, fraudes et rackets de grande ampleur. Cette affaire marqua la fin de l'épopée romantique des marchés à la criée. Un an plus tard, c'est le krach d'octobre 1987 qui allait mettre à mal ce fragile édifice. Au matin de cette funeste journée, un trader du parquet afficha cette pancarte, en forme de supplique adressée au Dieu des marchés : « Ceux qui vont mourir aujourd'hui te saluent ! » « Le plus grand krach de l'histoire des marchés ne fut pas une catastrophe pour tout le monde, puisque c'est grâce à lui que certaines règles du Nasdaq changèrent », raconte Alexandre Laumonier.
De quoi ouvrir une brèche dans laquelle les traders haute fréquence se sont engouffrés. Ils deviendront progressivement le maillon essentiel des Bourses en mettant à profit toutes les failles de la réglementation et les dernières avancées de la science. Loin d'être des professeurs Nimbus de la finance ou des escrocs, les pères fondateurs des automates de trading - Jim Simons, David Shaw, Edward Thorp... - comptent parmi les esprits les plus brillants et disciplinés des marchés. Ils ont donné au trading haute fréquence son socle intellectuel, sa crédibilité, sinon ses lettres de noblesse, lui permettant de s'étendre.
Il y a beaucoup plus de continuités que de ruptures entre les marchés d'hier et d'aujourd'hui. La guerre de l'information a toujours fait rage, elle n'a fait que se sophistiquer. La course de vitesse n'a pas cessé grâce aux inventions multiples (chemin de fer, télégraphe, téléphone, fibre optique, onde radios…) qui ont jalonné l'évolution des marchés où se côtoient désormais marathoniens (investisseurs de long terme) et sprinters (traders haute fréquence). Le langage des signes a vite remplacé le tapage du parquet, avant d'être à son tour détrôné par le langage informatique, celui des codes et de l'abstraction pure.
Cet ouvrage documenté et passionnant a le grand mérite de les décrypter de manière accessible. Il dissipe aussi malentendus, incompréhensions et autres idées reçues à l'égard du trading haute fréquence, perçu hâtivement comme la source de tous les maux. Des stéréotypes qui dressent un rideau de fumée occultant le vrai problème : les Bourses ne sont plus des coopératives au service de tous (investisseurs, sociétés, courtiers…) mais de véritables « entreprises de marché », sous « l'oeil des nouveaux dieux des marchés ». Des dieux sans visage, à l'image de la déesse Cérès, qui veillera encore longtemps sur le parquet du CBOT après que le dernier trader aura définitivement quitté son enceinte. 
Nessim Aït-Kacimi




DOCUMENTAIRE 
"[...] Réalisé par Marije Merman, réalisatrice hollandaise attachée à la VPRO déjà auteure d'un documentaire sur le flash crash du 6 mai 2010 (Money & Speed: Inside the Black Box, visible ici),The Wall Street Code part du témoignage d'Haim Bodek, ancienanalyste quantitatif (ou quant) chez Hull Trading, Goldman Sachs et UBS qui fut parmi les premiers à dénoncer les conflits d'intérêt entre l'industrie du trading à haute-fréquence, les opérateurs de marché et les marchés eux-mêmes."




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