Les fermes urbaines
source Le Monde.fr :
Près de 60 % de l’Humanité se concentre aujourd’hui dans les zones urbaines. D’ici 2050, cette proportion devrait atteindre 80 %, et la planète gagnera au bas mot 3 milliards d’habitants. Même en anticipant certaines évolutions technologiques, l’agriculture traditionnelle ne pourra pas répondre à la demande alimentaire : 80 % des surfaces arables du globe sont déjà en exploitation, et 15 % de ces sols ont même été épuisés (agriculture intensive, pollution, désertification…). Heureusement, architectes, designers et ingénieurs agronomes allient leurs compétences pour inventer la ferme de demain : au cœur des villes, et… à la verticale !
Force est de constater que l’agriculture intensive « sature ». Les causes sont multiples : le réchauffement climatique, la pollution, l’appauvrissement des sols, les circuits de distribution (toujours plus longs et gourmands en énergies fossiles)… Au final, les consommateurs se voient proposer des produits certes moins chers, mais aussi de moins bonne qualité. Et quoi qu’il en soit, bientôt en quantité insuffisante pour subvenir aux besoins de la planète.
Mais puisque les surfaces cultivables ne sont pas extensibles (hormis par la déforestation, qui a elle-même des conséquences dramatiques), comment faire pour produire la nourriture nécessaire à une population mondiale toujours croissante ? La réponse est simple : amenons les exploitations agricoles au cœur des villes. Mais pas question de raser la Défense ou Manhattan pour y rétablir les verts pâturages originels, l’heure est plutôt à l’innovation.
UNE UTOPIE AU SERVICE DE L’AVENIR
Si certains visionnaires en ont sans doute ébauché l’idée auparavant, le concept de « ferme verticale » a véritablement vu le jour à la fin du siècle dernier. L’idée est simple : produire en quantité des produits alimentaires au sein de structures occupant une emprise au sol réduite - par exemple des tours. Certains projets anglo-saxons parlent ainsi ouvertement de farmscrapers (« fermes gratte-ciel », contraction de farm et de skyscrapers).
Compte tenu des progrès enregistrés dans le monde agricole ces dernières années, notamment en termes de cultures sous serre, de tels projets sont loin d’être utopiques. À tel point que des fermes verticales sont à l’étude un peu partout dans le monde. Même la FAO (Food and Agriculture Organization), organisme des Nations Unies chargé de combattre la faim dans le monde, considère le développement l’agriculture urbaine comme l’une des clés de la survie alimentaire de l’Humanité.
DES CAPACITÉS DE PRODUCTION ÉTONNANTE
Dickson Despommier, professeur de sciences environnementales et de microbiologie à l’université Columbia de New York, fut l’un des premiers à formaliser le concept en 1999. Avec les technologies disponibles à l’époque, il affirmait qu’une ferme verticale de 30 étages, construite pour un montant de 84 millions de dollars (une somme à revoir à la hausse aujourd’hui), pourrait suffire à nourrir au bas mot 30 000 personnes, avec un rendement moyen 5 à 6 fois supérieur à l’agriculture traditionnelle – et jusqu’à 30 fois pour la culture des fraises !
De fait, tout ou presque pourrait être produit au sein de ces jardins du futur aux allures de World Terre Center : fruits, légumes, algues, champignons, céréales, mais aussi porcs, volaille, bétail, poissons… Les modes de cultures hors sol (de type hydroponique ou aéroponique), déjà à l’œuvre dans de nombreuses serres à travers le monde, permettront d’optimiser l’utilisation de l’espace. Fonctionnant en circuit fermé et au moins partiellement autonomes en énergie, elles utiliseront en outre une quantité d’eau extrêmement réduite.
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE, PILIER DU CONCEPT
Au plan purement théorique, les fermes verticales ne présentent a priori que des avantages :
Création de nouvelles surfaces agricoles sans impact négatif sur l’environnement ;
Création d’emplois ;
Réduction des filières de distribution et de stockage, grande consommatrices d’énergies fossiles ;
Amélioration des rendements, notamment en protégeant les cultures des intempéries ;
Réduction voire disparition de l’usage des insecticides, herbicides et autres fertilisants chimiques ;
Recyclage systématique des eaux usées ;
Création d’eau potable grâce à la récupération de l’évapotranspiration des végétaux ;
Amélioration de la qualité de l’air (les végétaux stockent du CO² et produisent de l’oxygène) ;
Réduction des émissions de gaz à effet de serre, et ralentissement du réchauffement climatique ;
Valorisation des déchets organiques grâce à la méthanisation ou au compostage ;
Autarcie énergétique au travers de capteurs photovoltaïques ou éoliens installés sur la structure…
BIENTÔT UNE MISE EN ŒUVRE CONCRÈTE ?
Si elles remplissent toutes ces promesses, les fermes verticales pourraient permettre d’éradiquer certaines maladies liées à la consommation de produits pollués, voire de réduire les conflits armés pour la nourriture que les spécialistes sentent poindre dans de nombreuses régions du globe. En permettant à l’Homme de désinvestir des zones actuellement dévolues à l’agriculture, elles favoriseraient également la réinstallation d’écosystèmes 100 % naturels, gage de préservation de la biodiversité.
Mais de nombreuses questions restent en suspens : les besoins énergétiques liés au chauffage ou à l’éclairage seront-ils assurés intégralement par les sources d’énergie renouvelable ? Ce nouveau mode d’agriculture et d’élevage ne risque-t-il pas de favoriser l’apparition de nouvelles maladies ou parasites ? Les coûts de construction (un projet actuellement à l’étude à Las Vegas est estimé à 200 millions de dollars) et d’exploitation permettront-ils de proposer les produits à un prix compétitif ?
Seule la mise en œuvre d’une première ferme verticale permettra d’apporter des réponses. Réponse d’ici quelques années, si l’un des projets actuellement à l’étude voit le jour à Vancouver, Londres ou Abu Dhabi… avant peut-être la Lune ou Mars.
QUELLE FORME POUR CES FERMES ?
De nombreux architectes et designers se sont déjà penchés sur la question, imaginant chacun leur propre ferme verticale. Si leurs interprétations esthétiques sont parfois surprenantes, la plupart s’accordent sur le principe d’une tour de 30 à 40 étages (pour 150 à 250 mètres de haut), au sein de laquelle cohabitent cultures et élevages.
Également au programme, les principes d’autonomie (au moins partielle) en énergie et de retraitement systématique des eaux usées, afin de réduire l’empreinte écologique de ces constructions hors normes.
Certains prototypes, comme l’impressionnante Tour vivante que les architectes français Pierre Sartoux et Augustin Rosensthiel rêveraient d’installer à Rennes, intègrent même 11 000 m² de logements et 8 600 m² de bureaux ! Tout en conservant, bien entendu, des capacités de production record : plus de 63 tonnes de tomates, 9 tonnes de fraises et 40 000 pieds de salade par an, entre autres. Elle est en outre parfaitement autonome en énergie, alimentée par 2 éoliennes (600 KWh/an) et 4 500 m² de cellules photovoltaïques (700 000 à 1 000 000 de KWh/an). De quoi goûter avec délices une nouvelle vie à la ferme, sans pour autant renoncer aux lumières de la ville.
Notons enfin, preuve que les industriels suivent avec attention ces fermes du futur, que sa conception a été commanditée par Cimbéton, une organisation qui regroupe les 5 plus grands producteurs français de ciment.
UNE MINI-FERME À DOMICILE
En attendant la première ferme verticale, Philips a imaginé un concept permettant à chacun d’installer sa propre mini-ferme et de produire de la nourriture, de l’eau filtrée et du gaz 100 % naturel.
Le « Biosphere Home Farming » fonctionne uniquement avec de l’eau, des déchets organiques et la lumière du soleil, restituée aux écosystèmes au travers de fibres optiques. Ses cinq niveaux accueillent différentes formes de vie, qui cohabitent de manière harmonieuse : plantes et herbes aux 1er et 2e niveau pour fixer le CO², algues au 3e pour filtrer l’eau et fournir l’oxygène aux poissons et crevettes du 4e, et déchets de cuisine (épluchures de légumes, par exemple) au 5e.
Un système permet de récupérer le méthane généré par la décomposition des déchets organiques pour générer de la chaleur, alimenter l’éclairage nocturne de l’ensemble et même (en partie) celui de la cuisine.
Reste qu’avant de goûter vos salades, tomates ou crevettes issues du Biosphere Home Farming, il vous faudra attendre sa commercialisation… d’ici 10 ou 15 ans - à supposer que le concept ne soit pas abandonné d’ici là.
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