Les cadences infernales de France Télécom en Tunisie
Mercredi 16/12/2009 | Posté par Sarah Battikh
Le saviez-vous ? Quand vous appelez Orange, c’est une téléopératrice de Tunis qui répond : 10 heures de travail par jour, pas de droits au chômage ni à la retraite. Témoignages recueillis par Sarah Battikh.
Internet, c’est l’information ancrée dans la mondialisation. Alors forcément, la délocalisation n’est jamais loin... Où ? Dans les pays où la main-d’œuvre est moins chère, et les lois du travail sont plus « souples ». La Tunisie, par exemple, qui n’a pas que des mets savoureux à son menu national. La main-d’œuvre aussi, dit-on, est d’exception. Plus de travail pour le peuple tunisien, ça ne se refuse pas, à Tunis. Pour les conséquences, on avisera...
Nous sommes chez France Télécom, à Tunis, dans un quartier proche de Bardot, desservi en bout de ligne par le train qui dessert toute la ville, brassant des de milliers de voyageurs chaque jour. Une journée de travail de plus de 10 heures va commencer. Les locaux sont sommaires, sans climatisation l’été. Des petites tables, des ordinateurs, des téléphones. Les chaises font mal simplement en posant nos yeux dessus. Il est 7 heures, au boulot !
Les employés d’Orange que vous avez en ligne, c’est eux. Internet, téléphonie, télévision, ils règlent tout, tout de suite, de là-bas. En France, on l’ignore souvent. Et pour cause : le numéro qui s’affiche dans nos villes et villages commence par 04. 04 comme le quart sud-est de l’Hexagone. Là, c’est aussi un quart-sud est, mais plus au sud… Qui, ici, s’en douterait ? L’accent ? Il est imperceptible. Les tunisiens sont bilingues, et la plupart maîtrise parfaitement le français. Le discours est ficelé, calibré, mesuré, surveillé. Si un client a un doute, l’hôtesse répond poliment qu’elle a des origines, mais qu’elle habite le sud de la France. Les appels s’enchaînent, se ressemblent. Ici, toute demande ou réclamation des clients est envisagée, et déjà prête à être traitée.
L’ordinateur de ces opérateurs explique et détaille chaque manipulation. Il est même possible pour ces employés de démonter et remonter entièrement votre live box, à la seule lecture de l’écran de la téléopératrice. Permettez le féminin, les femmes occupent plus des trois-quarts à des postes de ce France Télécom tunisois.
Les chefs de postes usent des menaces habituelles sur leurs subordonnés, faut que ça tourne. La pression dans une odeur persistante du narguilé. Un soupçon de parlote entre collègues, et c’est le drame. L’avertissement tombe. Comment ca, quand tu mangeais ton sandwich sur le bord de ton bureau, tu n’as pas eu le temps de lui parler, peut-être ?
19h… 20h… 21h… La journée est terminée. Chacun prend le train pour rentrer chez lui et s’endort pour quelques heures. Le quotidien n’est que fatigue, routine et blabla commercial. A la fin du mois, c’est l’excitation de la paye. Si elle arrive. Car, selon son bon vouloir, la direction se permet de verser un salaire… ou non. Les bons mois rapportent 180 euros, le montant du salaire moyen tunisien. Les lois de la nature sont bien faites, en Tunisie aussi. Le chômage envahit et étouffe les quartiers, tout poste est bon à prendre. L'avenir, pour nos jeunes Tunisiens qui l’envisagent avec sérieux, est empreint de doutes et de craintes. Alors, à défaut d'une une fortune héritée ou de parents aisés, il faut relever ses manches, et trimer plus qu’en France. En Tunisie, on s’arrache les emplois. Pas de chômage, ni de retraite. D’ailleurs, pas de contrat tout court !
Une plainte, un problème chez nos chers employés ? La porte est grande ouverte, c’est bien connue, dans les pays maghrébins. Grande ouverte pour y entrer boire un thé, mais aussi pour en sortir… Je vous le disais, les lois de la nature en Tunisie sont très bien faites. Les choses obéissent à un ordre établi, qui permet à chacun d’avoir une place, au moins une. Les 50 heures hebdomadaires qu’ont effectuées nos chers travailleurs de France Télécom s’achèvent. Place à la fête, c’est dimanche, le seul jour de repos de la semaine.
Les Tunisiens n’ont pas entendu parler de la vague de suicides qui a frappé France Telecom. Cachotterie… Pourtant, depuis plusieurs mois, des employés craquent. Les démissions succèdent aux dépressions, et vice et versa. Le passage à l’acte ultime – se donner la mort – est extrêmement rare en raison des préceptes de l’islam.
France Télécom n’a donc rien à craindre, la main-basse du pouvoir sur la presse étrangère empêche les informations dramatiques sur les suicides dans l’entreprise de parvenir aux Tunisiens. Et puis, même si les Tunisiens en avaient connaissance, ce ne serait qu'une désolation de plus. Impuissance en Tunisie, contrairement à ce qui prévaut en France, où l’on se donne les moyens de défendre les employés. Du moins, plus qu'en Tunisie...
Les trois femmes avec lesquelles je me suis entretenue pour cet article ont démissionné, après respectivement un, trois et sept ans de bons et loyaux services. Elles sont aujourd’hui, pour deux d’entre elles, téléopératrices pour une autre entreprise française. La dernière est encore au chômage, mais se résignera, dit-elle, à rejoindre une entreprise française, à défaut d’autres perspectives.
Je vous saurais donc gré, désormais, de saluer vos interlocuteurs d'une voix chaleureuse, lors de vos prochains appels à France Télécom. Un « salam aleikoum » de votre part, et un sourire se dessinera sur un visage à l’autre bout de la ligne. Mais chut, ne dites pas à la téléopératrice que vous êtes au courant, elle risquerait de le payer cher. Ce sera notre petit secret.
Sarah Battikh
SOURCE
yahoo.bondyblog.fr
Le saviez-vous ? Quand vous appelez Orange, c’est une téléopératrice de Tunis qui répond : 10 heures de travail par jour, pas de droits au chômage ni à la retraite. Témoignages recueillis par Sarah Battikh.
Internet, c’est l’information ancrée dans la mondialisation. Alors forcément, la délocalisation n’est jamais loin... Où ? Dans les pays où la main-d’œuvre est moins chère, et les lois du travail sont plus « souples ». La Tunisie, par exemple, qui n’a pas que des mets savoureux à son menu national. La main-d’œuvre aussi, dit-on, est d’exception. Plus de travail pour le peuple tunisien, ça ne se refuse pas, à Tunis. Pour les conséquences, on avisera...
Nous sommes chez France Télécom, à Tunis, dans un quartier proche de Bardot, desservi en bout de ligne par le train qui dessert toute la ville, brassant des de milliers de voyageurs chaque jour. Une journée de travail de plus de 10 heures va commencer. Les locaux sont sommaires, sans climatisation l’été. Des petites tables, des ordinateurs, des téléphones. Les chaises font mal simplement en posant nos yeux dessus. Il est 7 heures, au boulot !
Les employés d’Orange que vous avez en ligne, c’est eux. Internet, téléphonie, télévision, ils règlent tout, tout de suite, de là-bas. En France, on l’ignore souvent. Et pour cause : le numéro qui s’affiche dans nos villes et villages commence par 04. 04 comme le quart sud-est de l’Hexagone. Là, c’est aussi un quart-sud est, mais plus au sud… Qui, ici, s’en douterait ? L’accent ? Il est imperceptible. Les tunisiens sont bilingues, et la plupart maîtrise parfaitement le français. Le discours est ficelé, calibré, mesuré, surveillé. Si un client a un doute, l’hôtesse répond poliment qu’elle a des origines, mais qu’elle habite le sud de la France. Les appels s’enchaînent, se ressemblent. Ici, toute demande ou réclamation des clients est envisagée, et déjà prête à être traitée.
L’ordinateur de ces opérateurs explique et détaille chaque manipulation. Il est même possible pour ces employés de démonter et remonter entièrement votre live box, à la seule lecture de l’écran de la téléopératrice. Permettez le féminin, les femmes occupent plus des trois-quarts à des postes de ce France Télécom tunisois.
Les chefs de postes usent des menaces habituelles sur leurs subordonnés, faut que ça tourne. La pression dans une odeur persistante du narguilé. Un soupçon de parlote entre collègues, et c’est le drame. L’avertissement tombe. Comment ca, quand tu mangeais ton sandwich sur le bord de ton bureau, tu n’as pas eu le temps de lui parler, peut-être ?
19h… 20h… 21h… La journée est terminée. Chacun prend le train pour rentrer chez lui et s’endort pour quelques heures. Le quotidien n’est que fatigue, routine et blabla commercial. A la fin du mois, c’est l’excitation de la paye. Si elle arrive. Car, selon son bon vouloir, la direction se permet de verser un salaire… ou non. Les bons mois rapportent 180 euros, le montant du salaire moyen tunisien. Les lois de la nature sont bien faites, en Tunisie aussi. Le chômage envahit et étouffe les quartiers, tout poste est bon à prendre. L'avenir, pour nos jeunes Tunisiens qui l’envisagent avec sérieux, est empreint de doutes et de craintes. Alors, à défaut d'une une fortune héritée ou de parents aisés, il faut relever ses manches, et trimer plus qu’en France. En Tunisie, on s’arrache les emplois. Pas de chômage, ni de retraite. D’ailleurs, pas de contrat tout court !
Une plainte, un problème chez nos chers employés ? La porte est grande ouverte, c’est bien connue, dans les pays maghrébins. Grande ouverte pour y entrer boire un thé, mais aussi pour en sortir… Je vous le disais, les lois de la nature en Tunisie sont très bien faites. Les choses obéissent à un ordre établi, qui permet à chacun d’avoir une place, au moins une. Les 50 heures hebdomadaires qu’ont effectuées nos chers travailleurs de France Télécom s’achèvent. Place à la fête, c’est dimanche, le seul jour de repos de la semaine.
Les Tunisiens n’ont pas entendu parler de la vague de suicides qui a frappé France Telecom. Cachotterie… Pourtant, depuis plusieurs mois, des employés craquent. Les démissions succèdent aux dépressions, et vice et versa. Le passage à l’acte ultime – se donner la mort – est extrêmement rare en raison des préceptes de l’islam.
France Télécom n’a donc rien à craindre, la main-basse du pouvoir sur la presse étrangère empêche les informations dramatiques sur les suicides dans l’entreprise de parvenir aux Tunisiens. Et puis, même si les Tunisiens en avaient connaissance, ce ne serait qu'une désolation de plus. Impuissance en Tunisie, contrairement à ce qui prévaut en France, où l’on se donne les moyens de défendre les employés. Du moins, plus qu'en Tunisie...
Les trois femmes avec lesquelles je me suis entretenue pour cet article ont démissionné, après respectivement un, trois et sept ans de bons et loyaux services. Elles sont aujourd’hui, pour deux d’entre elles, téléopératrices pour une autre entreprise française. La dernière est encore au chômage, mais se résignera, dit-elle, à rejoindre une entreprise française, à défaut d’autres perspectives.
Je vous saurais donc gré, désormais, de saluer vos interlocuteurs d'une voix chaleureuse, lors de vos prochains appels à France Télécom. Un « salam aleikoum » de votre part, et un sourire se dessinera sur un visage à l’autre bout de la ligne. Mais chut, ne dites pas à la téléopératrice que vous êtes au courant, elle risquerait de le payer cher. Ce sera notre petit secret.
Sarah Battikh
SOURCE
yahoo.bondyblog.fr