Les chemins du virus passent par les billets de 1 dollar, sur Internet

LE MONDE | 05.05.09 | 14h04 • Mis à jour le 06.05.09 | 09h31

n lançant cette idée tout à fait saugrenue, en décembre 1998, Hank Eskin devait être assez loin de penser qu'elle aiderait les scientifiques, dix ans plus tard, à prévoir la propagation d'une épidémie sur le sol américain. De quoi s'agit-il ? D'un site Web baptisé Where's George ? ("Où est George ?") et dont le projet est d'organiser une sorte de traçabilité des billets de banque américains. Le "George" dont il est question n'est autre, en effet, que le président américain George Washington (1732-1799), dont le visage orne les coupures d'un dollar.

Par simple jeu, les internautes peuvent indiquer sur Wheresgeorge.com le numéro de série des billets de banque en leur possession ainsi que l'endroit où ils se trouvent. Ceux qui ont eu une coupure bancaire entre les mains et qui se sont fait connaître de Wheresgeorge.com peuvent ainsi tout savoir de ses pérégrinations ultérieures - pour peu que d'autres acceptent de jouer le jeu. Un jeu auquel il faut bien reconnaître une forme de poésie...

Le rapport avec l'épidémie de grippe A (H1N1) peut sembler lointain. Mais la base de données générée par le site de Hank Eskin - considérable - a permis à l'équipe de chercheurs dirigée par Dick Brockemann (Northwestern University) de fonder un modèle de déplacement des populations américaines. Le cheminement de l'argent n'est, après tout, guère différent de celui des femmes et des hommes qui l'ont en poche...



140 MILLIONS DE COUPURES



En mêlant aux données des transporteurs aériens les trajets des quelque 140 millions de coupures bancaires enregistrées sur le site, les chercheurs ont pu bâtir un modèle de propagation des épidémies - puisqu'un rapport très étroit existe entre les déplacements d'une population et la diffusion des maladies qu'elle porte.

Résultats ? Le modèle de l'équipe de Dick Brockemann prévoit que 600 à 700 cas de grippe A (H1N1) devraient s'être déclarés sur le sol américain au 14 mai. La prévision monte à quelque 2 000 à 2 200 cas pour le 28 mai.

Le modèle est d'un grand secours aux autorités sanitaires : il n'anticipe pas uniquement le nombre total de malades, il peut également cibler les zones les plus à risque, celles dans lesquelles le virus devrait faire irruption en première instance. En l'occurrence, les villes de Los Angeles, Dallas, Miami, Houston, New York et Chicago.

Les chercheurs disent s'attendre à ce que la réalité soit inférieure à leurs projections. En effet, "les scénarios présentés ne tiennent pas compte des actions menées pour contrer l'épidémie", explique Alain Barrat (CNRS, Centre de physique théorique de Marseille).

Toutefois, le modèle anticipait un total d'environ 160 cas au 3 mai et les autorités sanitaires en ont finalement recensé plus de 220 ce dimanche...

"Il est très difficile d'anticiper certains effets, explique M. Barrat. En particulier la réaction des populations, dont le comportement joue un rôle central dans la propagation d'une épidémie."

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 06.05.09

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