Les esclaves des séries de télé-réalité se rebellent
Sylvain Besson, Paris
Samedi 24 mai 2008
SOURCE LE TEMPS.CH
TELEVISION. En France, plus d'une centaine d'«acteurs» ont fait appel à la justice pour obtenir un salaire décent. Et révèlent les dessous peu reluisants d'un secteur très rentable.
On leur avait promis des vacances au soleil, avec quelques caméras en plus. Ils se sont retrouvés à la merci de producteurs vindicatifs, corvéables de jour comme de nuit, le tout pour une rémunération misérable. Aujourd'hui, les esclaves de la télé-réalité française se révoltent - et leur insurrection menace les fondements mêmes de ce business très lucratif.
Roberto De Lima, carrossier en région parisienne, est l'un des initiateurs du mouvement. En 2005, il a participé au tournage de L'île de la tentation, une émission de TF1 où des couples doivent résister aux avances de jeunes hommes et femmes au physique avantageux. Il a gardé un bon souvenir du Costa Rica, un pays «superbe», beaucoup moins des 200 m2 de plage où il a été confiné avec les autres participants.
«On nous avait dit qu'on serait libres, qu'on ferait ce qu'on voudrait. Mais en fait, tout est orchestré par la production. Vous devez rejouer les mêmes scènes trois ou quatre fois. Et vous êtes obligé de participer, sinon ils vous menacent de procès», se souvient Roberto De Lima, qui a dû se couler dans le rôle du macho latin que les producteurs avaient défini pour lui.
Mais agiter le spectre d'un recours aux tribunaux n'était pas une bonne idée. Payé 1500 euros (environ 2400 francs) pour deux semaines de tournage, Roberto de Lima a repris l'idée à son compte et fait appel aux Prud'hommes pour obtenir un salaire plus substantiel. Il demande 27000euros à Glem, la société qui réalise L'île de la tentation pour le compte de TF1. Des personnages aussi inoubliables que Brandon et Diana, le couple star de la première saison, ou Erika, la tentatrice aux cheveux rouges, ont engagé des procédures similaires.
Leurs chances d'obtenir réparation sont loin d'être nulles. Le 12février dernier, la Cour d'appel de Paris a octroyé 27000euros chacun à trois participants de la saison 2003 de l'émission. D'autres, comme Zlatko Joksimovic, un tentateur recruté par Glem alors qu'il posait sur un stand de lingerie masculine, espèrent recevoir «au moins le double». «Nous étions à la disposition des réalisateurs 20 heures par jour, de 8 heures du matin à 4 heures du matin», explique-t-il. Lui aussi a été menacé de procès: «Ils nous disaient que si on révélait quoi que ce soit de leurs méthodes, ils nous réclameraient 15000euros grâce à une clause de notre contrat. Dès qu'il y avait un problème, ils nous rappelaient qu'ils avaient ce moyen de pression.»
Depuis, la peur a changé de camp. L'avocat parisien Jérémie Assous affirme représenter 114anciens volontaires de la télé-réalité qui réclament un salaire décent, mais le nombre de demandes augmente chaque jour. Parmi les émissions concernées, Nouvelle Star, Koh-Lanta, Pékin Express, Greg le millionnaire... Et ces procédures révèlent des pratiques qui font ressembler certains tournages à des versions soft de Guantanamo.
Ainsi, les participants aux Colocataires vivaient sous des projecteurs allumés jusqu'à 5 heures du matin. Ils ont dû faire des pompes dans la boue, sous les ordres d'un instructeur paramilitaire. Les séances de confession («feux de camps») organisées pour Koh-Lantah ou L'île de la tentation pouvaient se prolonger toute la nuit. Certains volontaires ont dû répondre à d'interminables questionnaires destinés à connaître leurs points faibles, et à les utiliser contre eux.
Dans plusieurs émissions, l'alcool coulait à flot, alors que la nourriture et le sommeil étaient rares, les contacts avec l'extérieur interdits. Autant de stratagèmes destinés, selon Jérémie Assous, à abrutir les participants et à les transformer en sujets dociles pour les caméras.
Devant la multiplication des procès, TF1, M6 et les sociétés de production visées (Glem, Fremantle, AdventureLine...) gardent un silence prudent. Au pire, elles pourraient se retrouver face à quelque 1000 plaignants - total estimé des «acteurs» de la télé-réalité en France - et à des dédommagements se montant en dizaines de millions d'euros. Leurs adversaires murmurent que les chaînes seraient désormais prêtes à négocier. Ce sera peut-être le prix à payer pour sauver leurs émissions de la ruine.
Samedi 24 mai 2008
SOURCE LE TEMPS.CH
TELEVISION. En France, plus d'une centaine d'«acteurs» ont fait appel à la justice pour obtenir un salaire décent. Et révèlent les dessous peu reluisants d'un secteur très rentable.
On leur avait promis des vacances au soleil, avec quelques caméras en plus. Ils se sont retrouvés à la merci de producteurs vindicatifs, corvéables de jour comme de nuit, le tout pour une rémunération misérable. Aujourd'hui, les esclaves de la télé-réalité française se révoltent - et leur insurrection menace les fondements mêmes de ce business très lucratif.
Roberto De Lima, carrossier en région parisienne, est l'un des initiateurs du mouvement. En 2005, il a participé au tournage de L'île de la tentation, une émission de TF1 où des couples doivent résister aux avances de jeunes hommes et femmes au physique avantageux. Il a gardé un bon souvenir du Costa Rica, un pays «superbe», beaucoup moins des 200 m2 de plage où il a été confiné avec les autres participants.
«On nous avait dit qu'on serait libres, qu'on ferait ce qu'on voudrait. Mais en fait, tout est orchestré par la production. Vous devez rejouer les mêmes scènes trois ou quatre fois. Et vous êtes obligé de participer, sinon ils vous menacent de procès», se souvient Roberto De Lima, qui a dû se couler dans le rôle du macho latin que les producteurs avaient défini pour lui.
Mais agiter le spectre d'un recours aux tribunaux n'était pas une bonne idée. Payé 1500 euros (environ 2400 francs) pour deux semaines de tournage, Roberto de Lima a repris l'idée à son compte et fait appel aux Prud'hommes pour obtenir un salaire plus substantiel. Il demande 27000euros à Glem, la société qui réalise L'île de la tentation pour le compte de TF1. Des personnages aussi inoubliables que Brandon et Diana, le couple star de la première saison, ou Erika, la tentatrice aux cheveux rouges, ont engagé des procédures similaires.
Leurs chances d'obtenir réparation sont loin d'être nulles. Le 12février dernier, la Cour d'appel de Paris a octroyé 27000euros chacun à trois participants de la saison 2003 de l'émission. D'autres, comme Zlatko Joksimovic, un tentateur recruté par Glem alors qu'il posait sur un stand de lingerie masculine, espèrent recevoir «au moins le double». «Nous étions à la disposition des réalisateurs 20 heures par jour, de 8 heures du matin à 4 heures du matin», explique-t-il. Lui aussi a été menacé de procès: «Ils nous disaient que si on révélait quoi que ce soit de leurs méthodes, ils nous réclameraient 15000euros grâce à une clause de notre contrat. Dès qu'il y avait un problème, ils nous rappelaient qu'ils avaient ce moyen de pression.»
Depuis, la peur a changé de camp. L'avocat parisien Jérémie Assous affirme représenter 114anciens volontaires de la télé-réalité qui réclament un salaire décent, mais le nombre de demandes augmente chaque jour. Parmi les émissions concernées, Nouvelle Star, Koh-Lanta, Pékin Express, Greg le millionnaire... Et ces procédures révèlent des pratiques qui font ressembler certains tournages à des versions soft de Guantanamo.
Ainsi, les participants aux Colocataires vivaient sous des projecteurs allumés jusqu'à 5 heures du matin. Ils ont dû faire des pompes dans la boue, sous les ordres d'un instructeur paramilitaire. Les séances de confession («feux de camps») organisées pour Koh-Lantah ou L'île de la tentation pouvaient se prolonger toute la nuit. Certains volontaires ont dû répondre à d'interminables questionnaires destinés à connaître leurs points faibles, et à les utiliser contre eux.
Dans plusieurs émissions, l'alcool coulait à flot, alors que la nourriture et le sommeil étaient rares, les contacts avec l'extérieur interdits. Autant de stratagèmes destinés, selon Jérémie Assous, à abrutir les participants et à les transformer en sujets dociles pour les caméras.
Devant la multiplication des procès, TF1, M6 et les sociétés de production visées (Glem, Fremantle, AdventureLine...) gardent un silence prudent. Au pire, elles pourraient se retrouver face à quelque 1000 plaignants - total estimé des «acteurs» de la télé-réalité en France - et à des dédommagements se montant en dizaines de millions d'euros. Leurs adversaires murmurent que les chaînes seraient désormais prêtes à négocier. Ce sera peut-être le prix à payer pour sauver leurs émissions de la ruine.