SYSTEME EDUCATIF ?

Les missions de l’école, les jeunes et le travail

Malgré les objectifs affichés, la faculté d’insertion sociale et professionnelle du système éducatif est faible et ne correspond pas aux moyens investis.Les obstacles à la préparation de l’insertion sont d’ordre culturel et pédagogique.

Le diagnostic des compétences et de l’employabilité des élèves, dans toutes leurs composantes, suppose un nouveau référent théorique, méthodologique et pédagogique pour les enseignants.

Par une culture du travail, l’école peut anticiper l’évolution des identités professionnelles, pour le plus grand bien des élèves.

De drames existentiels du chômage en processus d’exclusion croissant, le phénomène de décomposition de la relation au travail chez les jeunes s’accélère. Au cœur de la précarisation, les jeunes sont en effet les objets d’une société adoratrice de la soumission aux évidences. Il est pourtant clair que d’une manière générale le rapport scolaire au travail et à l’emploi ne va plus de soi tant le contexte économique destructure les repères culturels d’humanisation et de socialisation génériques. Que deviennent le travail du père ou de la mère, la famille et le logement/espace vital qui constituent l’environnement social quotidien de l’école ? La multiplication des situations de pauvreté bouleverse le paysage des signes d’ancrage au réel dans notre pays qui brille, lui, par son technocratisme et son conservatisme. Dans le meilleur des cas, de jeunes Français se lèvent le matin pour aller au collège ou au lycée ou à l’université avec une motivation à croire que c’est encore utile pour eux. Ils ne font que retrouver un lieu traversé des mêmes déstabilisations éducatives et des mêmes enjeux sociaux qui font qu’ils n’entendent pas ou plus ou très difficilement le message de la connaissance.

Comment ne pas comprendre que la plupart des jeunes vivent ce déficit de sens généralisé comme une souffrance de l’âme ? Car ils prennent conscience avant même leurs parents que l’école n’agit plus comme un ascenseur social. Qu’elle ne leur apporte plus qu’une nourriture culturelle qui n’a pour finalité que l’existence d’un édredon de mots vains. L’école ne propose que des choses à dire ; elle ne propose pas de choses à voir et à faire, de choses à construire, de la vie à tramer pour donner du sens à ce que l’on apprend. Car la conception dominante du rapport scolaire au travail et à l’emploi semble frappée d’une double allergie à l’activité concrète des élèves et au lien avec la réalité économique. Si, en dehors de ces deux critères, la prétention de l’école est d’affirmer qu’elle prépare l’insertion sociale et professionnelle de chaque élève (1), il nous faut lui dire que les faits sont têtus. La qualité d’insertion de l’école est faible, ne correspond pas aux moyens investis.

Aussi est-il opportun de se demander pourquoi elle ne le fait pas. Où sont les obstacles ? Qu’est-ce qui freine une préparation scolaire à l’insertion professionnelle si l’on fait l’hypothèse que le travail scolaire est l’apprentissage du travail socialement utile ? À quelles conditions l’école pourrait-elle modifier le rapport des élèves au travail et à l’emploi ? Si l’on fait l’hypothèse que l’école doit combiner des savoirs de type scientifique et des savoirs de type pratique sociale de référence ou des savoirs de la vie pour préparer l’insertion, comment remettre sur le chantier scolaire une éducation au travail, une pédagogie de l’appropriation de la relation au travail ? Comment transformer l’école en chantier de construction du sens du travail et de l’anticipation de l’emploi ?

Les obstacles à la préparation de l’insertion

Ils sont d’ordres culturel et pédagogique.

Les freins culturels

La culture dominante des acteurs de l’institution scolaire est eschatologique ; au royaume des fins elle appartient en toute quiétude et, pleine de cette intemporalité, elle a quelque difficulté à redescendre dans le cambouis et à voir ce que l’on peut en faire.

Mais il est vrai que malgré la reformulation institutionnelle des missions de l’enseignant (BO du 20 mai 1997) qui demande à l’école d’insérer, les acteurs ont quelque difficulté à adhérer à cette finalité. Toutefois, elle a le mérite d’être écrite et de pouvoir être lue en attendant que la prise de conscience de ses enjeux et de ses stratégies de réalisation puisse devenir une pratique culturelle. Car en effet l’école est encore bâtie sur la croyance selon laquelle il suffit de construire une identité scolaire pour intégrer une société économique complexe. Les faits – un quart des jeunes de 16 à 25 ans sans emploi en France en 1996, et le taux d’activité des 16-25 ans passé de 60,4 % à 45,6 % entre 1985 et 1997 – donnent tort à cette vision du sens de l’école. Les acteurs de l’institution manquent ainsi d’une conception globale de ce à quoi sert l’école ; plus encore maintenant que hier, elle sert à construire l’identité sociale de l’élève. Les processus d’exclusion dans la société française viennent de manière essentielle non pas des structures économiques mais des structures mentales des décideurs politiques et administratifs et de leurs agents d’exécution. Si celles-ci avaient évolué, les autres auraient suivi malgré les privilèges acquis. L’archaïsme des conceptions sociales dominantes touche aussi bien la notion de mauvais élève que l’orientation à partir de la note, la probabilité d’insertion par le haut niveau de culture générale que le statut social dévalorisé de la formation professionnelle. Les décideurs et les acteurs du système éducatif français n’ont pas encore compris que les jeunes ne se sentent pas grandir dans un système de formation qui ne sait pas mettre en œuvre un parcours de formation équilibrant formation générale et formation professionnelle dès le lycée et qui ne sait pas éduquer les élèves au choix professionnel dès le collège. Ils commencent juste à comprendre que le modèle français actuel est très coûteux en déficit d’insertion sociale et professionnelle, en déficit de sens pour les élèves et en perte d’humanité pour tous. Mais quand vont-ils comprendre, sans que cela dérange leurs petits intérêts, qu’il n’est plus possible de guider l’action éducative en pensant former un homme qui ne soit pas un homme un et multiple, intellectuel et manuel, à un métier qui ne soit pas complet, dans une organisation qui ne soit pas qualifiante pour ses acteurs et apprenante pour ceux qui grandissent ? Quand vont-ils saisir, comme les jeunes l’ont déjà fait, que l’école ne garantit plus une ascension sociale ? La relation formation/emploi est dans un état d’incohérence tel que l’employabilité reste une qualité à démontrer en situation concrète. Par ailleurs, la société fonctionne maintenant en systèmes complexes non hiérarchisés où chacun devra trouver une place fonctionnelle. Dès lors, l’école ne peut plus feindre de croire que l’insertion des élèves dépend uniquement des résultats scolaires et des examens, d’un rituel hors du temps vécu où l’on oublie l’identité économique de l’élève. Or, celle-ci est constitutive de son identité sociale qui lui assure une image de soi globale, une image en devenir travaillée au moyen de la construction de son projet personnel et professionnel. La voie d’excellence se trouve dans l’appropriation par les enseignants et les élèves de cette culture du projet.

L’articulation culturelle entre la demande sociale d’éducation et la demande économique de formation, encore aujourd’hui freinée par l’oubli de l’identité économique de l’élève, dépend de leur articulation systémique. En effet, l’école doit s’autoriser à penser l’évolution des identités professionnelles et organisationnelles pour anticiper et accompagner la relation formation/emploi dont elle assure une part des déterminants socio-économiques. Les expériences qui existent déjà entre des établissements scolaires et des entreprises de leur environnement montrent bien combien il est difficile de mettre en place une pratique partenariale interactive. Car elle nécessite une vision globale de l’articulation entre les deux demandes et des niveaux d’organisation local, académique, régional et national qui conditionnent l’élaboration d’un projet de formation complexe par l’établissement scolaire. Au centre de cette vision devrait se tenir la représentation de l’élève au travail que va décliner son projet personnel et professionnel.

Ce que en fait les observateurs de l’école et de ses effets constatent avec une inquiétude certaine, c’est l’existence d’un processus de socialisation cognitive dominant et d’un processus de socialisation professionnelle discursif, sans que l’on songe à les articuler de manière opérationnelle. Le déni de ce qui est professionnalisant parce que accroché à ce qui est manuel ou en difficulté est une aberration de marque. Ainsi, il est opportun de souligner que la construction identitaire de l’employabilité à l’école se fait de manière partielle. Si chaque identité voit se développer un processus d’appartenance et un processus d’attribution, il est clair que ceux de l’identité socio-économique sont minorés, abstraits, projetés dans un futur déterminé par les processus de l’identité scolaire. L’identité pour autrui est la seule reconnue par l’orientation prescriptive qui n’autorise que des prescriptions externes pour attribuer une identité de dossier. Tout se passe donc comme si les deux identités étaient confondues pour faciliter la maîtrise de l’élève-objet. On voit le parcours culturel à faire pour enfin penser l’élève-sujet et la construction de son autonomie dans le cadre de l’autonomie de l’établissement scolaire. Les comportements enseignants majoritaires doivent être interrogés. Ils sont les premiers prescripteurs de l’orientation des élèves et ils ont quelque difficulté à concevoir le projet de l’élève comme fondateur de son développement. Dans ce contexte, comment imaginer l’apprentissage de la citoyenneté ?

Pour que des élèves apprennent le sens de la République, encore faut-il que les appreneurs soient eux-mêmes très respectueux de la notion et de la pratique de la citoyenneté. Dans un établissement scolaire, est citoyen celui qui respecte les valeurs républicaines en les pratiquant. C’est autant reconnaître le droit de connaître de chaque élève qu’écarter tout processus d’exclusion pour celui qui, en apprentissage du savoir, l’est aussi de la loi interne à l’établissement. Tout manquement à cette loi exige l’apprentissage éducatif d’une pratique culturelle qui vise l’appropriation de la règle porteuse de la valeur à laquelle on souhaite donner du sens. Ainsi avons-nous pu observer qu’un élève qui ne présente pas des attitudes sociables avec ses camarades pouvait être chargé d’une responsabilité adaptée à ces écarts et à la nécessité de les négocier pour remplir cette responsabilité. Qu’en est-il alors de la citoyenneté des professeurs qui, pour être faiseurs de leçons, devront affirmer des règles de vie sociale crédibles ? Outre la ponctualité, la tolérance à l’autre, l’objectivité du jugement, la coopération, la conception selon laquelle est citoyen celui qui construit sa capacité à gagner sa vie en travaillant, l’accent sera plutôt mis sur la concertation, le travail d’équipe et la cogestion de l’établissement par le biais du projet d’établissement et de son outil, le plan de formation de l’établissement. La citoyenneté du professeur passe par cette pratique sociale de la gestion des règles de vie interne à l’EPLE, sorte de contrat entre les acteurs et les usagers ; le professeur citoyen met en œuvre une culture du travail collectif aussi bien dans le fonctionnement de l’établissement que dans sa pratique pédagogique. C’est encore trop peu le cas.

Les freins pédagogiques

Ce sont autant la réflexion que la pratique pédagogique qui se trouvent ici interpellées. Ainsi, la pédagogie du projet implique de penser le projet de l’élève comme un levier d’autodéveloppement du sujet. Pour que celui-ci soit reconnu comme un acteur social en apprentissage, il faut le mettre en situation d’apprendre le droit de produire du sens et des gains d’avenir. Cela passe par une gestion pédagogique des besoins de formation de l’élève, l’organisation d’un espace-temps où acquérir et produire du savoir sont méthodologiquement liés. Tant que l’élève concret n’existe pas, qu’il n’est pas reconnu comme il est, avec ce qu’il sait, sait faire, sait être comme il le sait, les enseignants ne peuvent pas mettre en œuvre des situations pédagogiques qui veulent dire quelque chose aux élèves et qui les fassent progresser. Les parcours de formation individualisés ne sont envisageables que si les enseignants évoluent d’une pédagogie impositive à un pédagogie appropriative, font le saut d’une pédagogie mono-outillée à une pédagogie pluri-outillée. Les attitudes enseignantes à l’égard de l’élève concret placé dans un cadre de connaissance au travail ne peuvent plus être marquées de la peur de perdre un pouvoir institutionnel ou de se voir en déficit d’autorité. Puisque ce sont des conditions relationnelles et psychopédagogiques qui permettent de relégitimer la position de l’enseignant.

Les expériences pédagogiques centrées sur l’élève et son action montrent que les représentations, qui guident la pratique, sont le lieu d’un travail sur soi et d’un travail à partir de la tâche prescrite dont l’accomplissement est difficile. L’anticipation est souvent contrée par la réalité des comportements des élèves qui cherchent des repères ou plutôt qui apprennent à les construire. La prise de risques, salutaire pour modifier une pratique pédagogique, peut se retourner en réajustement régressif si un conseil de classe trop nominatif a été mal vécu. On retrouve là les incohérences qui peuvent exister entre l’innovation pédagogique et le fonctionnement traditionnel d’un établissement.

En tout état de cause, d’un freinage pédagogique à la préparation de l’insertion, une représentation doit être pointée comme jouant un rôle particulièrement décisif dans le développement de l’élève et la formation de son employabilité. Ne pas la penser, ni encore moins l’expliciter, suppose une méconnaissance par les enseignants du comment un élève apprend et du pourquoi il est en difficulté, et des nombreux effets négatifs de ce manquement au savoir sur la pédagogie. Il s’agit de la représentation de l’élève genèse, qui sera à l’origine de l’évolution du regard éducatif. Chaque élève incorpore le savoir au moyen des cadres épigénétiques de la connaissance et construit des cadres nouveaux s’il est animé de sa pulsion épistémophilique, pulsion de maîtrise du savoir de l’autre et signifiant de sa pulsion de mort propre à tout être humain. Un éducateur ne peut plus parler d’enfant inintelligent ou qui serait nul ; les appréciations des professeurs devraient laisser penser que les enfants sont éducables et différents. Il n’y a dès lors de pédagogie que si les situations ou les exercices mis en œuvre sont adaptés à l’évaluation diagnostique de l’état initial du savoir et des compétences de chaque élève. Et bien entendu si le professeur n’a pas déjà classé, trié, placé les élèves alors qu’il devrait faire évoluer son regard en intégrant cette représentation de l’élève genèse.

Tout compte fait, les obstacles à la préparation de l’insertion à l’école sont localisables : ils se trouvent dans l’inadaptation encore visible des systèmes de pensée/action/organisation/évaluation propres aux acteurs du système éducatif français à la résolution des incohérences de la relation formation/emploi et à la mise en œuvre de nouvelles missions et pratiques éducatives. Modifier le rapport scolaire au travail et à l’emploi, c’est croire qu’il est possible de former l’élève employable (on lui donne les moyens d’élaborer sa vie, il sera alors citoyen s’il grandit sa capacité de la gagner en travaillant) ; c’est admettre qu’il est légitime de penser le projet personnel et professionnel de l’élève comme le moyen et le but d’une stratégie de développement identitaire.

Les conditions de la préparation de l’insertion à l’école

Les conditions de la préparation de l’insertion à l’école sont organisationnelles dans la mesure où l’on conçoit que le fonctionnement de l’établissement facilite la modification des choses que l’on pense à partir des choses que l’on fait et des actes que l’on pose. À cet égard, le projet d’établissement – et son outil, le plan de formation continue – imprime dans l’organisation sociale des stratégies et des procédures culturelles auxquelles les acteurs se réfèrent collectivement et individuellement dans leur enseignement. Mais ces conditions sont surtout professionnelles dans la mesure où l’objet de la préparation et les tâches afférentes dépendent du développement de l’identité professionnelle des enseignants. Ces compétences à développer sont les comportements d’aide à l’insertion et le diagnostic pédagogique.

Préparer l’insertion des élèves implique de savoir quelles tâches entreprendre pour faire quoi. Les comportements enseignants qui aident à l’insertion sont pluriels et font la part des pratiques d’orientation conservatrices et de celles qui seraient innovantes. Ainsi discernera-t-on le comportement d’orientation prescriptive, le comportement d’éducation aux choix professionnels et le comportement d’aide au projet personnel. Si les professeurs connaissent bien la prescription en matière de trajectoire professionnelle quand ils identifient la valeur sociale d’un élève et son parcours de formation à une note et qu’ils attribuent une identité par des impossibilités sinon des interdictions à être et à devenir, ils découvrent les autres comportements. Et s’aperçoivent qu’ils peuvent éduquer aux choix professionnels en pratiquant une relation partenariale avec les acteurs de l’entreprise, en organisant des situations pédagogiques pour construire des compétences sociales et socio-affectives, outre les compétences cognitives et sociotechniques qui sont le support du travail engagé. Dans ce cas, ils s’autorisent déjà à parler en conseil de classe du choix de l’élève, à évoquer des transactions subjectives de l’élève considéré et à développer une identité possible. Quant au comportement d’aide au projet personnel, les enseignants le vivent de manière trop informelle, comme s’il s’agissait d’une pratique hors d’atteinte ou hors fonction. Et pourtant le premier prescripteur pourrait mettre en œuvre une pédagogie interactive où les élèves auraient des points de repère dans l’offre d’une identité virtuelle, négociée, évolutive. Des entretiens permettraient aux élèves de réguler leur identité pour soi et de renoncer à une identité visée illusoire ; une pédagogie du dialogue, à gestion coopérative, serait utile aux élèves que fascine la chimère du paraître ou du mieux disant. La projection dans le futur soutenue par la recherche d’une ressemblance professionnelle n’exclut en rien le principe de réalité ou la cruauté du réel. La formation des enseignants au diagnostic pédagogique renforce l’appropriation des comportements d’aide à l’insertion puisque diagnostiquer la construction d’une compétence c’est évaluer un élément ou une étape du projet personnel et professionnel de l’élève.

Pour diagnostiquer l’état d’un savoir ou d’une compétence, ou de l’employabilité, il est opportun de se référer aux modèles de l’étiologie pédagogique (2). On rappelle l’influence déterminante de l’identification narcissique au savoir construit à travers le regard des autres ; les élèves investiront d’autant plus leur travail scolaire et la ressemblance professionnelle à une pratique sociale de référence qu’ils s’auto-identifient au savoir ou à la compétence nécessaire à la construction de leur projet personnel reconnu comme leur œuvre propre. Cette image de soi en construction que représente le projet évolue en fonction des transactions objectives, subjectives et négociées que l’organisation pédagogique centrée sur la connaissance au travail établit, prévoit et facilite. Un élève qui réfléchit à ce qu’il fait et sait, qui apprend en travaillant dès lors que l’enseignant le place en condition de le faire, peut être aidé dans son développement. Soucieux d’amener à gérer une action et à produire des choses, de faire mettre en mots les démarches réalisées et les choses sues, soucieux de ce qui change dans le langage de ses élèves, l’enseignant tentera de déchiffrer les produits et les réalisations et d’interpréter ce qu’il observe.

Ainsi, correspondant aux trois états du savoir et de la compétence – que dans un ordre génétique le diagnostic pédagogique repère –, l’état indifférencié, l’état dédifférencié et l’état différencié, les enseignants peuvent s’autoriser à identifier trois états de l’employabilité des élèves. On distinguera une employabilité faible quand les déficits de compétence sur les plans cognitif, social, affectif et socioprofessionnel ne sont pas réétayés et deviennent répétitifs, caractérisant des dysgnopraxies scolaires. Des troubles du comportement ou de la conduite ont les mêmes conséquences, qu’une difficulté à autoréguler révèle. Le travail pédagogique consiste à faire fabriquer du langage à partir de l’action et à imaginer ce qui peut le réétayer. Une employabilité est progressive quand l’éducation aux choix professionnels met les élèves en relation avec les contraintes et les structures socio-économiques, les métiers et les qualifications professionnelles. Les élèves sont mis en situation de faire des choix évolutifs et de les vérifier. Une employabilité est établie sinon consolidée quand l’organisation pédagogique fait pratiquer une coopération sociale. Celle-ci impulse l’appropriation en actes des compétences sociotechniques telles que la négociation, la résolution de problèmes d’organisation du travail. Alors que l’investissement d’une pensée objectivée sera possible parce que immédiatement socialisée, l’élève dessinera plus clairement son projet personnel et professionnel à travers les interactions vécues et réfléchies.

La préparation de l’insertion à l’école suppose un nouveau référent théorique, méthodologique et pratique pour les enseignants. Ils doivent évoluer dans leurs conceptions, changer de modèles pour repenser leur pratique d’enseignement en intégrant la pensée d’une gestion systémique de l’employabilité. Il s’agit bien de réexaminer la professionnalisation des enseignants dont la formation continue est une condition déterminante. Aussi faut-il désormais former les acteurs de l’établissement scolaire à la formalisation des savoirs de l’action pour étudier les conditions de mise en œuvre des modes de relation au travail et de l’implication au travail ; et à des conduites de gestion des compétences et des ressources humaines ou de la professionnalité. Sans oublier de continuer de les former à l’aide à la socialisation et à la professionnalisation des élèves acteurs de leur formation.

Les chantiers pédagogiques à imaginer

L’école devient le champ de la construction identitaire globale par les compétences. Chaque enseignant peut penser qu’il lui appartient de mettre en œuvre des situations d’apprentissage dont l’ouverture à la professionnalité des élèves ne fait aucun doute.

La décision de pratiquer des traitements pédagogiques assure à la démarche du réétayage le diagnostic de la relation au travail. Les situations actives et flexibles mettent les élèves en légitimité d’agir et d’investir leur énergie à des fins culturelles. Ce contexte donne du plaisir à apprendre car les élèves travaillent c’est-à-dire opèrent les transformations propres à un savoir enseigné ou à la construction d’une compétence. L’accès à la connaissance scientifique exige une rupture avec un savoir connu ; les élèves franchissent cet obstacle quand la logique de tâche décortique le contenu pour produire le savoir. Cette rupture fonctionne comme une approche de l’employabilité car elle oblige les élèves à (se) travailler, à produire un effort d’action-réflexion dans le but d’acquérir de la connaissance déclarative ou procédurale, d’obtenir un gain identitaire, une plus-value de sens. On peut comprendre ceux qui ont des difficultés à le faire et qui en saisissent ou non les enjeux profonds ; l’incivilité peut surgir à tout moment. On voit l’importance du diagnostic pédagogique pour identifier l’écart prérequis/préacquis et repérer le degré de rupture de l’obstacle à franchir pour chaque élève, dynamiser la tâche et suivre de manière individualisée les transformations et les synthèses opérées.

Le diagnostic du rapport à l’outil est de même très intéressant dans la mesure où l’outil transforme l’élève s’il l’aide à transformer la connaissance en compétence. De ce fait, qu’il soit déclaratif ou procédural, l’outil détermine la genèse de l’employabilité et l’école est un lieu d’imprégnation de la culture du travail. Dans le même ordre des causes et des effets, le diagnostic du rapport au savoir professionnel se trouve avoir une influence plus significative sur la préparation de l’insertion. En effet, le dispositif de l’alternance école/entreprise a pour objectif à court terme de former une employabilité suffisante à l’occupation d’un poste de travail quelle que soit la qualification professionnelle demandée. Or, comme le mouvement de détaylorisation s’amplifie dans les entreprises, une exigence nouvelle apparaît pour les enseignants, celle d’apprendre aux élèves à se réapproprier le savoir. Ce mouvement donne une plus grande autonomie dans le travail aux opérateurs ; il faut apprendre aux élèves à gérer une autonomisation croissante. C’est pourquoi la construction des compétences sociales, affectives, doit accompagner celle des compétences cognitives et socio-techniques dans l’enseignement d’une discipline. Mais c’est aussi pourquoi les enseignants doivent organiser un cadre de travail qualifiant dans lequel les élèves apprennent à construire leur savoir par synthèses successives, à auto-évaluer les compétences construites et à contrôler leur environnement Sur le plan structurel, un parcours de formation implique d’articuler formation générale et formation professionnelle, une logique d’apprentissage (même en production économique) et une logique de développement de compétence. Le travail effectué dans ce parcours prend alors une valeur éducative et stratégique dans la mesure où le travail accompli représente l’affrontement au réel, à l’inconnu, à l’aléatoire, et mobilise l’intelligence rusée pour faire face à la résistance du réel. Si " le sens du travail pour soi est indissociable du sens de son travail pour autrui " (3), la reconnaissance de l’employabilité construite n’en est que plus réelle induite par la visibilité du sentiment d’appartenance professionnelle. La gratification identitaire devrait suivre et finaliser ce processus intersubjectif. Les enseignants n’auront de cesse en conséquence de fabriquer les qualités de l’élève au travail au moyen d’une organisation pédagogique qualifiante reposant sur le travail d’équipe. Le diagnostic de l’employabilité portera sur la vision globale de la situation, l’anticipation de la tâche, l’adaptation à la tâche et à l’évolution du contexte. La formation et la protection de l’employabilité à l’école s’appuiera sur des pratiques de gestion des ressources humaines et sur l’invention de dispositifs qualifiants internes à l’établissement scolaire ainsi que sur des types de contrats pédagogiques et éducatifs permettant de parer à diverses situations de rupture ou de conflit ou à des dysfonctionnements.

On comprend pourquoi le projet personnel et professionnel de l’élève est encore un outil de développement si peu concevable par les enseignants. Et pourtant, l’école mêle bien l’espace du rêve et l’action dans le réel ; pourquoi résister à cet acte imaginaire par lequel l’élève pratique un apprentissage du savoir-pouvoir sur le temps et son devenir ? Le projet est essentiellement un travail d’anticipation où l’élève mesure les coûts, les risques et les bénéfices d’une décision d’utilité désirable. Il pourrait entreprendre ces démarches en utilisant la carte-projet. Celle-ci se présente comme une carte d’identité scolaire et socio-économique par année scolaire. Elle propose des compétences et leurs indicateurs (comme l’adaptabilité, l’autonomie, déclinée en auto-évaluation, responsabilité, prises d’initiative, le travail en équipe, l’investissement dans le travail, la créativité et le transfert, la sociabilité) et demande d’évaluer la fréquence de chacun de leurs indicateurs. Pour stimuler l’aide apportée par les enseignants au projet de l’élève, il est possible de proposer d’autres outils qui se présentent sous la forme de questionnements sur la motivation à être dans l’établissement, l’intérêt pris à apprendre, la reconnaissance qu’en attend l’élève, les transactions qu’il a commencé d’entrevoir ou avec lesquelles il ne peut faire autrement que de vivre ou de négocier. Chaque élève développe ainsi des compétences, construit son projet personnel et professionnel en négociant une identité visée avec les enseignants et, finalement, prépare son insertion professionnelle et sociale.

Au demeurant, les procédés techniques de socialisation professionnelle ont pour objet d’imprégner les représentations sociales et éducatives des enseignants et des élèves des exigences propres à la double articulation entre la demande sociale et la demande économique et entre la formation générale et la formation professionnelle. L’évaluation de l’état de l’employabilité de l’élève dépend donc du diagnostic de la mise en œuvre de ces procédés techniques, de cette technologie globale du projet qui permet aux enseignants de pronostiquer les chances d’insertion.

En conclusion – est-il besoin de le souligner en ces temps d’incertitude qui pèsent sur le destin scolaire et la valeur économique du diplôme ? –, l’école ne peut se désintéresser de l’emploi des élèves qu’elle instruit et forme avec responsabilité. Elle devra porter un intérêt croissant au monde socio-économique et mettre en œuvre une stratégie de formation en créant des gisements éducatifs et professionnels en cohérence avec la structure évolutive de l’emploi-type dynamique pour préparer une professionnalité reconnue. Par une culture du travail, l’école peut anticiper l’évolution des identités professionnelles. Les jeunes ne pourraient que s’en porter mieux.

Louis-Pierre JOUVENET
MAFPEN de Lyon.
page source du texte cndp.fr

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