Comment la finance a toujours été affaire de vitesse (et d’arnaque)


Si on ignore les obsessions de son auteur, le début de ce livre peut déconcerter. Y est raconté avec force détail un jour de décembre 2012 où est vendu aux enchères, à Bruges, un terrain doté d’une très haute tour, appartenant au ministère de la Défense belge. 

livre Alexandre Laumonier 4112 p. ISBN 978 293 0601 36 6. 15 euros.
http://www.zones-sensibles.org/alexandre-laumonier-4/



De manière inattendue, le lot attire les convoitises et c’est un mystérieux acheteur qui finit par l’obtenir pour une somme que l’Etat belge n’espérait pas. Que s’est-il passé? Qu’est-ce qui rend cet endroit si précieux?
C’est tout l’objet du livre que de répondre à la question. Et l’enquête menée par Alexandre Laumonier est hallucinante. Car elle nous plonge dans ce qu’est devenue la finance mondiale: une guerre que se livrent des entreprises pour garantir à leurs clients la circulation la plus rapide possible de l’information. Car dans ce nouvel état de la finance où ce sont des algorithmes qui agissent, il faut être le plus rapide à saisir une information, à la décoder et passer les ordres en conséquences. Des fortunes se gagnent et se perdent en une picoseconde (soit 0,000000000001 seconde), grâce à des mouvements du marché presque imperceptibles.


Au début des années 2000, on comptait sur la fibre optique pour aller plus vite, on l'on creusa nombre fossés pour y loger des câbles (le plus célèbre étant celui qui relie les bourses de New York et Chicago, tout droit à travers les montagnes, et qui coûta une fortune). Or à la fin des années 2000, on commence à s'intéresser à une autre technologie, les micro-ondes, qui passent par l'air et qui, si on a les bons relais sur le parcours, permettent de gagner un temps à la fois infinitésimal et précieux. C'est dans cette perspective que l'acquisition de cette tour, placée sur le trajet vers la Manche (dont vers la Bourse de Longres) est hautement stratégique. 

Quête de la vitesse

Ce n’est pas la première fois qu’Alexandre Laumonier s’intéresse à ce qu’on appelle le «trading à haute fréquence», mais ce livre est encore plus réussi que le précédent, où il racontait l’informatisation progressive des Bourses. Ici, il narre avec une grande clarté - et nombre d’anecdotes plus folles les unes que les autres - cette quête de la vitesse, la manière dont fonctionnent toutes ces technologies grâce auxquelles les acteurs des marchés gagnent des fortunes. Une histoire de l’argent immatériel qui est aussi une histoire très matérielle: celle de terrains qu’il faut acquérir, d’antennes qu’il faut poser le plus haut possibles, de mers qu’il faut traverser, d’immeubles occupés par des serveurs. L’auteur raconte une concurrence acharnée et des gens haut en couleur (ou terrifiants selon le point de vue).
Parmi les dizaines d’anecdotes qui ponctuent le livre, une illustre très bien ce qu’Alexandre Laumonier rappelle souvent: si la technologie se renouvelle sans cesse, la quête est toujours la même. Au fond, il a toujours été question, dans la finance, de vitesse et de quasi arnaque. Ainsi cette histoire extraordinaire de piratage du réseau de télégraphie optique mis en place en France par Chappe dans le premier tiers du XIXe siècle.
(Extrait de “4”, d’Alexandre Laumonier, éditions Zones sensibles)


L’extrait n’appelle pas grand commentaire. Si ce n’est que, quand on le relie à d’autres histoires (par exemple celle des talonnettes que portaient les traders pour être mieux aperçus dans la fosse), on a l’impression que l’histoire de la haute-finance n’est qu’une suite de règles imposées a posteriori pour rétablir un semblant d’égalité entre des concurrents pour lesquels tous les moyens sont bons (par exemple, pour éviter que les traders ne finissent sur des échasses). Pour le dire autrement, on a l'impression d'un monde auquel rien d'autre que la loi n'impose des limites. Un monde structurellement amoral, donc. 
Imaginons que la société fonctionne comme ça…
Xavier de La Porte




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