Colonies : les racines d’un racisme nommé désir - Libération

source Colonies : les racines d’un racisme nommé désir - Libération:





"Deux hommes blancs mesurent à l’aide d’un compas les larges fesses d’une femme noire (dessin «humoristique» anglais, 1810). Un marine américain rigolard pose sa main sur le sein d’une prostituée vietnamienne (photographie de 1969). Un croquis médical décrit les petites lèvres du sexe d’une femme hottentote au gonflement «anormal et malsain» (gravure, 1804). 




Une jeune actrice montre ses seins devant des barres HLM, sous un teaser : «Certaines femmes préfèrent par-derrière» (affiche du film porno la Beurette de la cité de Fred Coppula, 2017).

Sexe, race et colonies, qui sort jeudi en librairie (Ed. la Découverte, 65 euros), retrace l’histoire coloniale par le prisme de la sexualité. L’une ne peut se penser sans l’autre, soutiennent les historiens, anthropologues ou politologues qui y ont participé. 
Et cet imaginaire mêlant domination, race et érotisme, forgé six siècles durant, irrigue malgré nous, aujourd’hui encore, le regard que nous portons sur l’autre : «Un travail de déconstruction devient, aujourd’hui, plus que jamais nécessaire», écrivent les auteurs. 

 Dans ce livre monstre (544 pages, 1 200 illustrations et 97 auteurs) - et par son sujet souvent monstrueux -, les images sidèrent. Les mots, même les plus savants («typification raciale», «biopolitique coloniale»…) ont peu de poids face à la violence de cette profusion de fantasmes illustrés. C’est cette avalanche d’images, leur répétition jusqu’au vertige, qui montre, davantage que bien des discours, le caractère systématique de la domination sexuelle des corps colonisés ou esclavagisés. A la chaîne, page après page, des seins de femmes noires pincés par des colons égrillards en costumes blancs. Des corps exposés, exotisés, érotisés, martyrisés ad nauseam."

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Mais pour démontrer ces faits, fallait-il montrer ces images - et en montrer tant ? Dès l’introduction de l’ouvrage, les auteurs justifient leur choix : «Nous pensons qu’il est impossible de déconstruire ce qui a été si minutieusement et si massivement fabriqué pendant près de six siècles, sans montrer "les objets du délit".» 

L’historien Nicolas Bancel, coordinateur du livre, en témoigne : «La question a donné lieu à des discussions interminables entre nous.» Des auteurs pressentis pour participer au projet l’ont décliné, pour cette raison, comme l’historienne Ann Laura Stoler. Les images pédophiles, trouvées en nombre, ont été éliminées du corpus.

Chaque illustration a été enchâssée dans des textes scientifiques charpentés. Christelle Taraud a fait un casus belli de la couverture, pas question d’y exposer une femme nue : «Le débat de "montrer ou non" est une question qui traverse les féministes, comme les universitaires qui travaillent sur la prostitution ou la pornographie. Une école "prohibitionniste" pense qu’on ne devrait plus jamais montrer ces images humiliantes. Un autre courant, dont je suis, estime que la domination visuelle participe largement de la domination globale, et qu’on ne peut déconstruire sans dévoiler.»


Sexe, race & colonies 
La domination des corps du XVe siècle à nos jours

Pascal BLANCHARDNicolas BANCELGilles BOËTSCHDominic THOMASChristelle TARAUD

Reposant sur plus de mille peintures, illustrations, photographies et objets répartis sur six siècles d’histoire au creuset de tous les empires coloniaux, depuis les conquistadors, en passant par les systèmes esclavagistes, notamment aux États-Unis, et jusqu’aux décolonisations, ce livre s’attache à une histoire complexe et taboue. Une histoire dont les traces sont toujours visibles de nos jours, dans les enjeux postcoloniaux, les questions migratoires ou le métissage des identités.
C’est le récit d’une fascination et d’une violence multiforme. C’est aussi la révélation de l’incroyable production d’images qui ont fabriqué le regard exotique et les fantasmes de l’Occident. Projet inédit tant par son ambition éditoriale, que par sa volonté de rassembler les meilleurs spécialistes internationaux, l’objectif de Sexe, race & colonies est de dresser un panorama complet de ce passé oublié et ignoré, en suivant pas à pas ce long récit de la domination des corps.

Version papier : 65 €


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