Les grandes épidémies de grippe viennent des élevages industriels | Thierry Souccar Editions





SOURCE Les grandes épidémies de grippe viennent des élevages industriels | Thierry Souccar Editions:



En mars 2009, quelques semaines avant l’éruption de grippe porcine, les habitants de La Gloria se plaignaient des effluves qui s’échappaient de l’usine GCM et de ses « lagons d’excréments de cochons ». En mai 2009, ils ont manifesté en brandissant des panneaux sur lesquels des cochons étaient barrés d’une croix. On pouvait lire : peligro (danger). Une enquête des journalistes du quotidien mexicain La Marcha a mis en lumière les pratiques douteuses de GCM dans le traitement des eaux usées et des déchets. La compagnie mère américaine avait de son côté écopé en 1997 d’une amende de 12,3 millions de dollars pour violation de la réglementation sur les eaux usées.
Mais aussi bien les autorités mexicaines que les producteurs de porc font tout pour éviter que des journalistes et des scientifiques s’intéressent de trop près aux activités des usines à cochons.
Car depuis des années, des chercheurs du monde entier craignent que les usines à cochons de la planète soient les creusets de nouveaux virus de la grippe particulièrement dangereux, et qu’ils se répandent ensuite dans la population.

LES VIRUS DU NÉOLITHIQUE

Les grandes pandémies sont apparues avec l’émergence de l’agriculture, il y a environ 10 000 ans. La biologie moléculaire et les travaux de l’Américain Jared Diamond ont montré qu’elles ont toutes une origine animale et qu’elles ont été transférées à l’homme aux premiers temps de la domestication et de l’élevage, en raison de la proximité entre fermiers et animaux. C’est vrai pourla grippe, la variole, la malaria, la tuberculose, le typhus, la diphtérie, la rougeole, la fièvre jaune, la peste et le choléra... La variole (comme la tuberculose) a été transmise à l’homme par les moutons, les chèvres et le bétail. Ces maladies étaient inconnues de l’humanité avant l’ère agricole du néolithique, soit pendant les sept millions d’années au cours desquelles nos ancêtres n’ont pratiqué que la cueillette, le charognage, puis la chasse et la pêche.
Tout change il y a dix à 12 000 ans au néolithique, avec la sédentarité et la généralisation de l’élevage. Hommes et animaux vivent souvent dans les mêmes lieux, une proximité qui va faire le lit des nouvelles épidémies et contribuer à la santé précaire qui caractérise cette époque.
Le virus de la grippe va s’accommoder parfaitement des bouleversements qui touchent la gestion des ressources alimentaires à partir du néolithique. Ses gènes en effet se présentent sous la forme d’un chapelet de 8 segments d’ARN (« mini-chromosomes ») assez mal arrimés les uns aux autres, ce qui fait qu’ils peuvent facilement se détacher et se recombiner avec les segments génétiques d’autres virus qui se trouvent à proximité. L’insertion de nouveaux segments provenant de virus différents, en particulier d’origine animale, s’appelle une cassure antigénique. Ce sont ces virus nés de cassures qui provoquent les pandémies.
Les chercheurs ont longtemps cru que les pandémies de grippe, comme les épidémies de grippe saisonnière, trouvaient leur origine dans l’évolution naturelle du virus. Cette vision angélique a été mise en pièces dans les années 1990 par les données rassemblées par Robert Webster (Hôpital pour enfants St Jude de Memphis, Tennessee), Christoph Scholtissek (Institut de virologie de l’université Justus Liebig de Giessen, en Allemagne) et Stephen Morse (université Rockefeller de New York). En réalité, disent-ils, le principal responsable de l’émergence de nouveaux virus mortels de la grippe est aussi le principal responsable des grandes pandémies qui de la Mésopotamie à l’empire Aztèque ont anéanti des pans entiers de l’humanité : l’homme et ses pratiques d’élevage.

DANS L'INTESTIN DU COCHON, UN TUBE À ESSAI

Les volailles, en particulier les canards et les oies sont les réservoirs majeurs des virus de la grippe. L’homme résiste généralement aux infections par ces virus aviaires, mais le porc est plus facilement infecté, tant par les virus aviaires que par les virus de la grippe qui touchent les mammifères. Le porc sert donc souvent de « tube à essai » dans lequel des virus de plusieurs origines peuvent échanger du matériel génétique et construire un nouveau virus mortel.
Les CAFO qui élèvent des porcs sont, au moins sur le papier, des structures closes. Il s’agit d’empêcher les animaux de tomber malades. Mais on aurait tort de croire qu’elles sont hermétiques. Des microbes peuvent y entrer et en sortir de multiples manières.
Certains CAFO, notamment dans des pays dont les réserves en eau sont mesurées, comme le Mexique, recyclent leurs eaux usées, en puisant dans leurs fameuses mares à excréments. L’eau est utilisée pour nettoyer les stalles. Le problème, c’est que des oiseaux se servent aussi de ces mares à ciel ouvert et peuvent y déposer des virus. Les CAFO qui prélèvent des eaux de surface, même propres, courent le même risque.
Et il n’y a pas que l’eau. En 2008, la commission américaine Pew sur les pratiques des fermes industrielles a publié un rapport qui se penche sur la question des substances relarguées dans l’air par ces usines de production de chair animale. Selon ce rapport, « des niveaux élevés de particules et de bioaérosols sont disséminés par les ventilateurs. Les particules sont composées de matières fécales, de produits alimentaires, de cellules épithéliales et de sous-produit de décomposition des matières fécales et alimentaires. » Le rapport ajoutait que « les bioaérosols, qui sont des particules aériennes d’origine biologique sont un constituant majeur des matières particulaires disséminées par les élevages industriels. Elles se composent de bactéries, moisissures, spores bactériens, virus, déchets cellulaires, pollens, aéroallergènes. »
Les employés des CAFO sont particulièrement bien placés non seulement pour être infectés par un nouveau virus, mais aussi pour le disséminer dans la population. Après que la grippe aviaire ait contaminé plusieurs usines à poulets néerlandaises en 2003, une étude a montré que 64 % de ceux qui avaient été au contact de personnes infectées par le virus aviaire H7N7 présentaient eux aussi des anticorps. De la même manière, les conjoints d’employés d’usines à cochons ont plus de chance de présenter des anticorps aux virus de la grippe porcine : 20 % des employés des élevages industriels de porcs présentent de tels anticorps.
Selon d’autres travaux de modélisation, lorsqu’il y a dans une communauté un grand nombre d’employés de CAFO, le risque de transmission d’une pandémie de grippe à la population environnante est grandement augmenté. Les employés d’une CAFO peuvent aussi introduire des virus humains de la grippe dans les unités d’élevage dans lesquelles ils travaillent : ces virus peuvent ensuite se mélanger aux virus d’origine animale. C’est ce qui s’est produit en 1998 dans un élevage de Caroline du Nord, mais aussi en 2009 au Canada et en Argentine avec le virus de la grippe A.
Les riverains des CAFO, comme à La Gloria se plaignent depuis des années de la qualité de l’air qu’ils respirent. Ils se plaignent aussi des bataillons de mouches qui infestent les waste lagoons et leurs habitations. Or les mouches peuvent transporter les virus de la grippe. Une étude de 1985 a trouvé qu’un tiers des mouches, lors d’une flambée de grippe aviaire en Pennsylvanie étaient porteuses de particules virales. Une autre étude japonaise de 1984 a récupéré des virus entiers sur des mouches à proximité d’un élevage de poulets infecté par le virus aviaire H5N1.
Peu à peu, sans que le public en soit averti, l’élevage animalier se voit contraint à des mesures de sécurité de plus en plus draconiennes, simplement pour continuer à assouvir notre insatiable appétit pour le jambon sous plastique et les nuggets de poulet de batterie. Cette escalade malsaine pourrait conduire les CAFO à adopter un cahier des charges aussi copieux que celui d’une centrale nucléaire sans pour autant qu’une sécurité totale y règne jamais.

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