SUBPRIME DEPUIS ...
La gestion du crédit devra se réinventer
8 août 2008 - 20h57
La Presse
Rudy LeCours
Il y a un an aujourd’hui, BNP Paribas déclenchait ce qui semble encore la plus importante crise de liquidités depuis la Grande Dépression. En annonçant le gel des retraits de trois fonds investis dans les prêts hypothécaires à risque, elle sonnait le glas d’un mode de gestion des risques rattaché au crédit depuis le début de la décennie, sous l’impulsion de Wall Street.
Il a fallu pas moins de trois semaines à une trentaine de mathématiciens pour dénouer l’écheveau: quelle valeur réelle donner aux trois fonds de BNP Paribas, compte tenu de l’effondrement du marché hypothécaire à risque (subprime) aux États-Unis?
Réalisant la gravité de la situation puisqu’elles étaient presque toutes dans la même galère, les banques se sont soudainement méfiées les unes des autres. Plus question de se prêter au taux souhaité par les banquiers centraux puisque l’argent avancé aujourd’hui ne sera peut-être pas remboursé le lendemain.
Toute la machine financière s’est enrayée, faute de liquidités, comme un moteur sans huile. Devant la gravité de la situation, la Banque centrale européenne a débloqué des lignes de crédit évaluées à 148 milliards de dollars américains dans les heures qui ont suivi l’annonce.
Le lendemain, la Réserve fédérale américaine injectait 38 milliards de liquidités sur son marché bancaire. Il s’agissait du premier d’une longue série de mesures d’urgence pour tenter de rétablir un peu de confiance dans le système.
Selon Frank Milne, professeur à l’Université Queen’s de Kingston et nouveau conseiller spécial à la Banque du Canada, la crise présente n’en est pas une de liquidités. Il s’agit du retour brutal des risques de crédit à long terme au bilan des institutions financières.
Depuis des années, elles les délocalisaient dans des filiales, souvent nichées dans des paradis fiscaux. Ces filiales saucissonnaient ces risques de crédit en tout genre dans des produits financiers à courte échéance (comme du papier commercial), d’une complexité et d’une opacité telle qu’elles auraient été incapables de les expliquer à ceux à qui elles les vendaient.
Les investisseurs mal informés les achetaient, à la fois attirés par un rendement légèrement supérieur à celui des bons du Trésor et rassurés par la bonne note de crédit accordée par les grandes agences. À leur échéance, ces titres étaient remplacés par une nouvelle émission de même nature de sorte que l’émetteur continuait de refiler son risque et de reprêter à long terme le produit de la vente de ces titres à court terme. La roue tournait.
Certaines banques américaines et européennes ont ainsi pu prêter le même dollar de 20 à 30 fois.
Devenus méfiants après l’annonce de BNP Paribas, les investisseurs ont boudé les nouvelles émissions. Tout le marché de la titrisation du risque et de l’activité bancaire hors bilan s’est dès lors évanoui.
Pour les institutions financières, cela signifiait la reprise soudaine de toutes ces créances, bonnes ou mauvaises, et autant d’argent en moins à prêter.
Le fiasco de ce modèle mis au point par des mathématiciens est attribuable en partie à la fausse prémisse voulant que la croissance soit continue, permettant le financement des risques à long terme comme un prêt hypothécaire par des titres de dettes à courte échéance, sans cesse renouvelables.
L’effondrement du marché de l’habitation aura montré sa fausseté.
«Les répercussions sont loin d’être terminées», prévient M. Milne, dans son analyse Anatomy of the Credit Crisis : The Role of Faulty Risk Management Systems (Anatomie de la crise du crédit : le rôle des systèmes erronés de gestion du risque) publiée dernièrement par l’Institut C.D. Howe.
Il y décortique avec soin le rôle des institutions financières, des acheteurs de produits financiers structurés et des agences de notation de crédit dans le fouillis financier présent. Il met en lumière sa symbiose funeste avec l’économie réelle.
«À mesure que se poursuit la crise et que devient apparente sa nature systémique, l’évaluation des pertes grimpe. Elle s’étend des prêts hypothécaires dans leur ensemble, aux cartes de crédit, aux prêts immobiliers commerciaux, etc.», écrit M. Milne.
En fait, ce qui demeure troublant, c’est que personne ne connaît l’envergure des pertes à venir des grandes institutions financières, à mesure qu’elles reprennent les produits structurés qu’elles ou leurs filiales ont émis et dont personne ne veut plus. Il n’existe pas de valeur marchande pour ces titres puisqu’il n’y a plus de marché.
Depuis août, les radiations s’élèvent à près de 500 milliards de dollars. Des prévisions réalistes comme celles du Fonds monétaire international voient la note grimper à 1000 milliards. On serait donc à mi-chemin de la crise. Des scénarios plus pessimistes évaluent le dégât plutôt à 3000 milliards, compte tenu de son effet domino sur des créances jugées bonnes jusqu’ici.
Devant ces pertes, les institutions doivent réunir des capitaux pour redorer leur bilan, mais les investisseurs sont réticents et gourmands. Jusqu’ici, elles ont amassé quelque 400 milliards d’argent frais, soit 100 de moins que le capital pulvérisé. C’est autant d’argent en moins à prêter.
Emprunter coûte plus cher qu’il y a un an aux États-Unis, même si la Réserve fédérale américaine a fait passer son taux directeur de 5,25 % à 2,0 %.
Le retour à une situation plus normale, c’est-à-dire sans les contraintes actuelles ni le laxisme qui a abouti au présent bourbier, paraît possible quand le marché américain de l’habitation aura atteint le creux de la grave crise qu’il traverse.
Entre-temps, une crise en nourrit une autre. Plus se déprécient les propriétés résidentielles, plus grandit le nombre de prêts hypothécaires qui excèdent leur valeur. Plus se gonfle celui des prêts défaillants et plus se multiplient les saisies qui font à leur tour baisser le prix des maisons.
Et la vrille continue.
8 août 2008 - 20h57
La Presse
Rudy LeCours
Il y a un an aujourd’hui, BNP Paribas déclenchait ce qui semble encore la plus importante crise de liquidités depuis la Grande Dépression. En annonçant le gel des retraits de trois fonds investis dans les prêts hypothécaires à risque, elle sonnait le glas d’un mode de gestion des risques rattaché au crédit depuis le début de la décennie, sous l’impulsion de Wall Street.
Il a fallu pas moins de trois semaines à une trentaine de mathématiciens pour dénouer l’écheveau: quelle valeur réelle donner aux trois fonds de BNP Paribas, compte tenu de l’effondrement du marché hypothécaire à risque (subprime) aux États-Unis?
Réalisant la gravité de la situation puisqu’elles étaient presque toutes dans la même galère, les banques se sont soudainement méfiées les unes des autres. Plus question de se prêter au taux souhaité par les banquiers centraux puisque l’argent avancé aujourd’hui ne sera peut-être pas remboursé le lendemain.
Toute la machine financière s’est enrayée, faute de liquidités, comme un moteur sans huile. Devant la gravité de la situation, la Banque centrale européenne a débloqué des lignes de crédit évaluées à 148 milliards de dollars américains dans les heures qui ont suivi l’annonce.
Le lendemain, la Réserve fédérale américaine injectait 38 milliards de liquidités sur son marché bancaire. Il s’agissait du premier d’une longue série de mesures d’urgence pour tenter de rétablir un peu de confiance dans le système.
Selon Frank Milne, professeur à l’Université Queen’s de Kingston et nouveau conseiller spécial à la Banque du Canada, la crise présente n’en est pas une de liquidités. Il s’agit du retour brutal des risques de crédit à long terme au bilan des institutions financières.
Depuis des années, elles les délocalisaient dans des filiales, souvent nichées dans des paradis fiscaux. Ces filiales saucissonnaient ces risques de crédit en tout genre dans des produits financiers à courte échéance (comme du papier commercial), d’une complexité et d’une opacité telle qu’elles auraient été incapables de les expliquer à ceux à qui elles les vendaient.
Les investisseurs mal informés les achetaient, à la fois attirés par un rendement légèrement supérieur à celui des bons du Trésor et rassurés par la bonne note de crédit accordée par les grandes agences. À leur échéance, ces titres étaient remplacés par une nouvelle émission de même nature de sorte que l’émetteur continuait de refiler son risque et de reprêter à long terme le produit de la vente de ces titres à court terme. La roue tournait.
Certaines banques américaines et européennes ont ainsi pu prêter le même dollar de 20 à 30 fois.
Devenus méfiants après l’annonce de BNP Paribas, les investisseurs ont boudé les nouvelles émissions. Tout le marché de la titrisation du risque et de l’activité bancaire hors bilan s’est dès lors évanoui.
Pour les institutions financières, cela signifiait la reprise soudaine de toutes ces créances, bonnes ou mauvaises, et autant d’argent en moins à prêter.
Le fiasco de ce modèle mis au point par des mathématiciens est attribuable en partie à la fausse prémisse voulant que la croissance soit continue, permettant le financement des risques à long terme comme un prêt hypothécaire par des titres de dettes à courte échéance, sans cesse renouvelables.
L’effondrement du marché de l’habitation aura montré sa fausseté.
«Les répercussions sont loin d’être terminées», prévient M. Milne, dans son analyse Anatomy of the Credit Crisis : The Role of Faulty Risk Management Systems (Anatomie de la crise du crédit : le rôle des systèmes erronés de gestion du risque) publiée dernièrement par l’Institut C.D. Howe.
Il y décortique avec soin le rôle des institutions financières, des acheteurs de produits financiers structurés et des agences de notation de crédit dans le fouillis financier présent. Il met en lumière sa symbiose funeste avec l’économie réelle.
«À mesure que se poursuit la crise et que devient apparente sa nature systémique, l’évaluation des pertes grimpe. Elle s’étend des prêts hypothécaires dans leur ensemble, aux cartes de crédit, aux prêts immobiliers commerciaux, etc.», écrit M. Milne.
En fait, ce qui demeure troublant, c’est que personne ne connaît l’envergure des pertes à venir des grandes institutions financières, à mesure qu’elles reprennent les produits structurés qu’elles ou leurs filiales ont émis et dont personne ne veut plus. Il n’existe pas de valeur marchande pour ces titres puisqu’il n’y a plus de marché.
Depuis août, les radiations s’élèvent à près de 500 milliards de dollars. Des prévisions réalistes comme celles du Fonds monétaire international voient la note grimper à 1000 milliards. On serait donc à mi-chemin de la crise. Des scénarios plus pessimistes évaluent le dégât plutôt à 3000 milliards, compte tenu de son effet domino sur des créances jugées bonnes jusqu’ici.
Devant ces pertes, les institutions doivent réunir des capitaux pour redorer leur bilan, mais les investisseurs sont réticents et gourmands. Jusqu’ici, elles ont amassé quelque 400 milliards d’argent frais, soit 100 de moins que le capital pulvérisé. C’est autant d’argent en moins à prêter.
Emprunter coûte plus cher qu’il y a un an aux États-Unis, même si la Réserve fédérale américaine a fait passer son taux directeur de 5,25 % à 2,0 %.
Le retour à une situation plus normale, c’est-à-dire sans les contraintes actuelles ni le laxisme qui a abouti au présent bourbier, paraît possible quand le marché américain de l’habitation aura atteint le creux de la grave crise qu’il traverse.
Entre-temps, une crise en nourrit une autre. Plus se déprécient les propriétés résidentielles, plus grandit le nombre de prêts hypothécaires qui excèdent leur valeur. Plus se gonfle celui des prêts défaillants et plus se multiplient les saisies qui font à leur tour baisser le prix des maisons.
Et la vrille continue.